Son nom ne vous est probablement pas familier et pourtant Jorge Paulo Lemann, né en 1939 à Rio de Janeiro, pèse près de 30 milliards de dollars. Parmi les hommes les plus riches du Brésil et deuxième fortune de Suisse, Jorge Lemann reste en effet très discret sur sa vie et s’exprime rarement devant les médias. Il suscite pourtant l’admiration dans le milieu de la finance et son parcours a même fait l’objet d’un livre « Dream Big »[1]. Retour sur une ascension fulgurante.
Un parcours surprenant
Fils d’un homme d’affaires suisse, Lemann est diplômé d’Harvard en 1961 après une scolarité à l’école américaine de Rio. Stagiaire au Crédit suisse puis journaliste économique pour le Jornal do Brasil, le jeune Lemann se destine d’abord à une carrière sportive. Sacré champion de tennis cinq fois au Brésil, il participe à deux coupes Davis (au nom de la Suisse puis du Brésil) avant d’abandonner une voie professionnelle qui n’est pas à la hauteur de ses espérances.
C’est en 1971 que Jorge Lemann se lance véritablement dans les affaires. A 31 ans, il rachète grâce à un partenaire financier, le bureau de courtage Garantia qui devient la première banque d’investissement brésilienne. C’est également dans les années 1970 que ses partenaires Marcel Herrmann Telles et Carlos Alberto Sicupira le rejoignent. Ensemble ils rachètent l’entreprise en perte de vitesse Lojas Americanas, qui constitue aujourd’hui l’une des plus grosses chaînes de grande distribution du Brésil.
Le midas des investisseurs
En 1998 la crise et la restructuration de la dette brésilienne contraignent Lemann et ses acolytes à vendre Garantia au Crédit Suisse pour 675 millions de dollars. Les « trois mousquetaires » comme on les appelle se concentrent alors sur les fusions-acquisitions : en 1999, ils forment le groupe InBev grâce au rachat de plusieurs firmes brassicoles et deviennent le numéro un du marché brésilien. En 2004 InBEv fusionne avec le brasseur belge Interbrew et rachète Anheuser Busch (le brasseur de la Budweiser) en 2008. Aujourd’hui, Anheuser-Busch InBev est le plus grand groupe brassicole au monde et des marques historiques comme Leffe, Stella Artois, Corona, ou encore Beck’s lui appartiennent.
Lemann et ses partenaires ont aussi créé le fonds d’investissement 3G Capital, spécialisé dans les fusions-acquisitions dans le secteur agro-alimentaire. Parmi les entreprises rachetées, de nombreuses marques américaines tels que Kraft-Heinz, Maxwell House, Philadelphia, et la chaîne de restaurant Burger King acquises en 2010 pour quatre milliards de dollars. Aux États-Unis, on peut donc boire et manger Lemann à tous les coins de rue et le Brésilien aurait même l’intention de racheter un autre géant américain : Coca-Cola.
Des méthodes qui ne font pas toujours l’unanimité
Si le milliardaire a créé deux fondations caritatives pour aider les étudiants et améliorer l’enseignement au Brésil, l’homme que l’on appelle le « cost killer » a une vision particulière du management. Sa méthode est basée sur la chasse aux dépenses et sur un système de rémunération plus élevée pour les employés les plus méritants. Lemann recrute d’abord des jeunes Brésiliens pauvres prêts à tout pour réussir et s’inspire du modèle très méritocratique de Goldman Sachs. Par ailleurs, l’homme d’affaires a principalement fait fortune en rachetant des entreprises sous-évaluées, remises sur pied moyennant un traitement de choc : pour Lojas Americanas par exemple, pas moins de 6500 personnes ont été renvoyées.
Aujourd’hui, la source principale de revenu de Lemann provient du groupe Anheuser-Busch InBev, dont il détient plus de 10 % grâce à des holdings basées au Brésil et aux Etats-Unis mais aussi aux îles Cayman, au Luxembourg, aux Bahamas, ou encore à Jersey. Marié deux fois, ce père de 6 enfants vit désormais près de Zurich en Suisse où il s’est installé après une tentative d’enlèvement de ses enfants en 1999. Si Jorge Lemann n’a jamais fait partie des dix meilleurs tennismen mondiaux, à 76 ans, le Suisso-Brésilien a tout de même avoir réussi sa reconversion.
[1] « Dream Big », ou comment les Brésiliens Jorge Paulo Lemann, Marcel Telles et Beto Sicupira ont acquis Anheuser-Busch, Burger King et Heinz, Cristiane Correa, Editions Primeira Pessoa, 252 p, 2014.