Tout juste nommé président du board of Directors de Grupo Pão de Azucar (GPA), premier acteur de la grande distribution au Brésil,Jean-Charles Naouri voit sa stratégie récompensée. Mais cela n’a pas été une promenade de santé.
Si Casino n’a jamais caché son intérêt pour les pays émergents (le Groupe est déjà présent en Asie, dans l’Océan indien et dans d’autres pays d’Amérique latine), ce qui s’est déroulé au Brésil constitue selon moi un cas particulièrement intéressant.
Voyez plutôt.

Jean-Charles Naouri remporte la partie contre Abilio Diniz – Dessin de Joep Bertrams pour Courrier international –
Jean-Charles Naouri le conquérant
Revenons en arrière. En 1999, Casino souhaite développer sa croissance en s’implantant dans de nouveaux marchés dynamiques. Le Brésil, pays le plus peuplé de la région et dont le revenu net par habitant est en hausse continue depuis des années apparaît alors comme une cible de choix.
Casino choisit donc d’investir 1, 5 milliards de reais (environ 500 millions d’euros) dans le capital de GPA, alors dirigé par le milliardaire et héritier de l’entreprise familiale Abilio Diniz. 6 ans plus tard, Casino injecte cette fois 2 milliards de reais (670 millions d’euros). Malgré ces apports financiers massifs, Diniz reste seul capitaine à bord du vaisseau familial.
Tout va basculer lorsqu’ Abilio Diniz va tenter une opération que d’aucuns qualifieraient de très audacieuse. Début 2011, l’homme d’affaires brésilien va en effet mettre en place un dispositif de rapprochement entre GPA et CBD-Carrefour, concurrent et rival direct de Casino. Face à cette opération totalement imprévue (l’accord initial prévoyait à moyen terme une cession de GPA à Casino) Jean-Charles Naouri comprend qu’il faut réagir vite. Sa discrétion presque légendaire va ainsi laisser place à une volonté de fer.
Le choc des titans
Si Jean-Charles Naouri est un chef d’entreprise chevronné, Abilio Diniz est loin d’être un débutant. Naouri n’entend pas se faire damer le pion. Alors que la tentative de fusion de GPA et CBD-Carrefour avorte, les deux parties saisissent néanmoins un tribunal arbitral afin de résoudre d’autres conflits sous-jacents. Les choses s’enveniment.
Le Président de Casino s’engage alors de façon inédite dans une véritable campagne de reprise en main de GPA. Il se rend de plus en plus souvent au Brésil, échange avec les banques locales, rencontre les partenaires privés et publics. La discrétion laisse place à la visibilité. Jean-Charles Naouri est au front.
La bataille prend fin début septembre 2013. Le Groupe Casino publie un communiqué annonçant que dans « un esprit de respect réciproque, M. Abilio Diniz, Président de GPA et M. Jean-Charles Naouri, Président-directeur Général du groupe Casino, sont convenus de régler définitivement leurs différends et de donner à leur partenariat une conclusion mutuellement satisfaisante […] ». 1 mois plus tard, la partie est gagnée : Jean-Charles Naouri accède à la direction du board of Directors de GPA.
Les 3 leçons à tirer du duel Naouri – Diniz
1. Nul n’est prophète en son pays
Abilio Diniz pensait avoir toutes les cartes en mains, l’histoire a montré que cela ne suffisait pas. A la tête d’une entreprise brésilienne majeure, présente dans sa famille depuis plusieurs générations, l’homme d’affaires a probablement cru pouvoir tenir à l’écart un lointain actionnaire français dépourvu d’appuis locaux. Cette trop grande confiance en lui a grandement participé à son échec.
2. Le monde des affaires n’est pas fait pour les barbouzes
Si le terme est volontairement exagéré, comment qualifier autrement l’attitude de Diniz ? Ce dernier a tout de même échafaudé un plan pour doubler son partenaire avec un concurrent direct. Une couleuvre dure à avaler, surtout lorsque l’on a investi plusieurs centaines de millions d’euros auparavant.
3. Connaître et exploiter ses atouts
Face à un adversaire de grande envergure, Jean-Charles Naouri a préféré démontrer sa légitimité et son bon droit sans pour autant apparaître faible. A la fois lion et renard, il a su être présent sur le champ de bataille juridique tout en démontrant une certaine habilité pour dialoguer et recevoir l’appui des bons interlocuteurs.