« Une nouvelle approche pour le paiement de nos impôts » a simplement commenté Google, avec un sens aigu de la linguistique. Le groupe a annoncé, à l’issue d’une enquête du fisc britannique sur ses arrangements fiscaux au cours de la dernière décennie, devoir régler le paiement de 130 millions de livres sterling de contributions. Une petite somme pour le géant californien. L’opposition travailliste dénonce un accord qu’elle juge « dérisoire », et demande des explications au Parlement.
Cet accord tombe après 6 longues années d’enquête du service des impôts et des douanes, sur les faibles impôts dont Google s’acquitte au Royaume-Uni. Selon une mécanique bien huilée, la multinationale transfère la majorité de son chiffre d’affaires et de ses profits en Irlande, où est basé son siège européen, qui bénéficie d’une fiscalité avantageuse.
Sous la menace d’une taxe annuelle de 25 %
A l’instar des accords que l’entreprise a signés avec la France, les impôts payés par Google au Royaume-Uni sont particulièrement bas. Son taux d’imposition émarge à 2,77 %, contre 20 %, en théorie, pour les entreprises exerçant dans le pays. En 2013, la multinationale s’est acquitté de seulement 20,5 millions de livres (27 millions d’euros) d’impôts, rapporté à un chiffre d’affaires total de 3,8 milliards de livres (5 milliards d’euros). Google aurait dû en fait payer 200 millions de livres (263 millions d’euros) de contribution, soit 10 fois plus, selon le groupe de défense Tax Justice Network.
Le Royaume-Uni tente désormais de faire payer à la société américaine des impôts reflétant de façon plus concrète les chiffres de son activité. Le gouvernement britannique a mis en place plusieurs dispositifs pour la faire rentrer dans le rang au niveau fiscal. La taxe sur les évasions de profits, entré en vigueur en avril 2015, propose de taxer à hauteur de 25 % les bénéfices réalisés dans le pays.
Google, une entreprise comme les autres ?
L’accord intervenu en janvier dernier entre Google et le fisc lui permet de passer outre les engagements de ce nouveau dispositif, en s’acquittant d’une amende ponctuelle plutôt que d’une contribution rétroactive sur base annuelle. Google promet de payer des taxes qui correspondent à la taille et au volume de son activité, a indiqué le responsable des opérations du groupe en Europe, Matt Brittin, ajoutant que le groupe s’acquittera à l’avenir de ses impôts en fonction des achats de publicité des annonceurs britanniques sur son site.
Le ministre des Finances, George Osborne, s’est félicité de cette réussite majeure par un tweet : « La régularisation d’imposition conclue avec Google est une victoire dans la vaste opération d’optimisation fiscale que nous avons lancée».
Un accord « dérisoire » selon l’opposition
Le conseiller fiscal du Parti travailliste, Richard Murphy, a déclaré « ne pas comprendre pourquoi l’accord était si faible », craignant que cette politique fiscale ne soit appliquée ensuite à d’autres entreprises privilégiées. John McDonnell, le porte-parole des Travaillistes pour les questions économiques, a qualifié l’accord de « dérisoire », et a mis le sujet polémique à la table des discussions du Parlement dès le lundi suivant sa publication.
Le chiffre d’affaire de 24 milliards de livres (31 milliards d’euros) qu’a généré Google en 10 ans au Royaume-Uni aurait dû se chiffrer à des impôts sur bénéfices de 2 milliards de livres (2,6 milliards d’euros), bien plus que les 170 millions d’euros dont elle doit s’acquitter. John McDonnell a également envoyé un courrier à Margrethe Vestager, la commissaire à la concurrence de l’Union européenne, en questionnant le contenu de l’accord passé entre le fisc britannique et la multinationale, à laquelle il reproche d’aller à l’encontre du droit européen.
Une enquête toujours en cours en France
A l’instar d’autres multinationales, Google doit répondre de ses pratiques fiscales dans plusieurs pays européens. Les chefs de gouvernement des pays du G20 ont adopté, en automne dernier, un plan de lutte commune contre l’évasion fiscale des multinationales, condamnant leur base d’imposition et les transferts de bénéfices. Les entreprises devront dorénavant détailler leur bilan et leurs charges fiscales pays par pays, afin de régulariser directement leur imposition dans les pays où elles opèrent leurs activités.
En France, Google reste sous le coup d’une enquête de l’administration fiscale et a d’ores et déjà enregistré une provision dans ses comptes pour absorber une prochaine « rectification » du montant de ses impôts. Le chiffre d’affaires réel de l’entreprise, ces 10 dernières années, peut être évalué à plus de 11 milliards d’euros en France, si l’on se fonde sur les investissements publicitaires totalisés via recherche par mots-clés, soit un rectificatif d’imposition de 60 millions d’euros sur le même modèle qu’au Royaume-Uni.
Bruxelles aura-t-elle son mot à dire ?
La commissaire à la concurrence de l’Union européenne s’est dite disposée à examiner l’accord sur les arriérés d’impôts du géant californien au Royaume-Uni, « si la Commission est sollicitée ». A Bruxelles, Ricardo Cardoso, le porte-parole de Margrethe Vestager, a confirmé que « la commissaire avait bien reçu une lettre du SNP », le Parti national écossais, à ce sujet, et qu’elle « allait l’étudier ». Au micro de la BBC radio, la commissaire a refusé, pour le moment, de commenter les allégations selon lesquelles le compromis conclu avec Google par le fisc britannique pouvait être qualifié d’ « accord de complaisance ». Mais elle a, pour l’heure, simplement déclaré que « si la Commission trouve qu’il y a matière à préoccupation, alors nous y jetterons un coup d’œil ».
Quelles seront les prochaines étapes d’optimisation fiscale en Europe? Google, comme d’autres multinationales, va surement contre-attaquer en cherchant d’autres moyens de diminuer ses charges d’imposition.