Pour sortir de son année 2022 noire, la crypto-monnaie veut se rapprocher des autorités financières. Mais ce mariage de raison ne sera pas sans conséquences sur un secteur qui attirait justement pour sa capacité à vivre loin des règles de la finance traditionnelle.
La crypto-monnaie et les autorités financières peuvent-elles finalement s’entendre ? Après une année noire en 2022 pour les crypto-monnaies, il est urgent que le secteur réagisse, sous peine de connaître un effondrement total. Et cette réaction passe par un rapprochement avec les autorités de régulation. Un mariage de raison qui ne sera pas sans conséquences pour un secteur qui se distingue justement par sa capacité à contourner les règles.
Mais la réalité l’a finalement rattrapé… 2022 a connu plusieurs épisodes douloureux pour la crypto : le stable coin Terra s’est effondré, alors justement qu’un stable coin, monnaie virtuelle indexée sur une monnaie crée par une banque centrale (par exemple l’Euro ou l’USD) doit apporter une garantie de stabilité. Le cours du Bitcoin a chuté et la plateforme FTX a fait faillite, laissant un million de personnes dans l’impossibilité de récupérer leur mise. Tous ces nombreux petits investisseurs, souvent jeunes et dénués d’expérience en finance, ont vu leur vie basculer avec la perte de toutes leurs économies. C’est cette crise qui motive l’entrée dans une nouvelle ère pour les entreprises de crypto-monnaie : pour exister, il va falloir se plier à la régulation et ainsi rassurer les investisseurs qui ne voudront plus prendre le risque de tout perdre.
L’Europe ouvre les bras à la crypto… A condition qu’elle suive ses règles
L’arrivée de Circle en Europe entre dans cette tendance : en avril 2023, cette entreprise est devenue le premier prestataire de services sur actifs numériques enregistré en France. Après avoir lancé le stable coin USD Coin (USDC), Circle vient de lancer l’Euro Coin (EUROC) et a déjà entamé des démarches avec les autorités de régulation des marchés financiers en Europe. Cette arrivée en France est donc un signe d’une volonté de transparence et de séduction de la part d’un des géants de la crypto. En parallèle, Binance et Crypto.com, deux autres spécialistes renommés, ont eux aussi installé leur siège en Europe. Pourquoi un tel intérêt pour le Vieux Continent ? En raison de l’accueil leur est réservé ! Le mot d’ordre est aujourd’hui clair : « si vous vous pliez aux régulations européennes, la porte est ouverte. »
En effet, Bruno Lemaire, ministre de l’économie et des finances de France, a annoncé vouloir faire de l’Europe une place forte des cryptos et de la finance décentralisée. Il a insisté sur sa volonté de faire de la France « le hub européen de l’écosystème des crypto-actifs ». Une telle déclaration d’intérêt, couplée au discours officiel de Circle, semble marquer l’entrée dans une nouvelle ère : celle d’une entente cordiale entre Etats et crypto-monnaies. Ainsi, Jérémy Allaire, dirigeant de Circle dont il est aussi l’un des cofondateurs, a affirmé l’ambition de son entreprise de s’étendre en Europe, faisant de la France « le pôle clef » de sa stratégie. Il a également salué la volonté de la France de réguler les « crypto-monnaies orientées vers l’innovation » car elles « correspondent à la vision de Circle pour l’avenir du secteur ». Aussi, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a annoncé dès le mois de janvier 2023 vouloir ouvrir la porte aux crypto notamment en matière d’innovation mais sans « qu’on doive être dans le laisser-faire béat ou le n’importe quoi », a communiqué sa présidente, Marie-Anne Barbat-Layani.
Un modèle à réinventer
Après avoir longtemps incarné une alternative à la finance traditionnelle en séduisant les anarcho-libertariens, les développeurs de crypto-monnaies font face à une crise sans précédent. Les épisodes Terra et FTX ou la chute de la valeur du Bitcoin en sont les marqueurs les plus frappants, sur fond de guerre froide entre les régulateurs de la finance et les développeurs de monnaies virtuelles. De fait, tenter de faire cavalier seul contre d’un côté, la finance traditionnelle et de l’autre, les pouvoirs publics attachés à la volonté de réguler, est devenu trop difficile.
Vantant la décentralisation et l’absence de système bancaire dans son système d’échange, le monde de la monnaie virtuelle et de la blockchain voulait se défaire de la tutelle de la finance traditionnelle. Son objectif initial était aussi d’atteindre une certaine transparence même si dans les faits, cela n’a pas toujours été le cas. Mais cette singularité s’arrête là : certains experts notent que les crypto-monnaies ne sont pas différentes de la finance traditionnelle car elles connaissent aussi des périodes de crise. D’ailleurs, à ce sujet, l’AMF, comme les autres régulateurs, veut anticiper les crises en approuvant les dirigeants de ces plateformes : le but est d’éviter les détournements de fonds et les abus de confiance vis-à-vis d’investisseurs peu aguerris à la finance.
Mais en suivant les règles gouvernementales, la crypto pourrait ressembler fortement à la finance traditionnelle… Dans ce cas, comment peut-elle encore séduire ? Surtout dans un contexte où la finance traditionnelle voit une opportunité d’investissement… Cette dernière aimerait profiter de la période de crise vécue par les crypto-monnaies pour mettre un pied dans un monde qui se refusait alors à elle.
Or, l’arrivée de la finance traditionnelle dans un système qui s’est créé en opposition à elle va créer un peu de confusion. Les prochains mois marqueront donc à coup sûr un tournant dans l’histoire de la crypto qui doit, tant bien que mal, essayer de se relever. Mais avec quel modèle ? Réguler, oui, mais comment devenir attractif en perdant ce qui faisait la spécificité d’un système ?
Photos : cryptonews.com et ecotree.green