La crise ukrainienne a depuis le début de l’année 2014 envenimé les relations entre la Russie et les pays occidentaux. Mais quelles sont les conséquences de cette situation sur l’économie hexagonale ?
L’industrie aéronautique française retient son souffle : l’Inde, qui doit signer prochainement un contrat portant sur l’achat de 126 avions de combat, semble plus que jamais hésitante. En cause, la décision du gouvernement français de ne pas honorer la livraison des deux navires de guerre Mistral commandés par la Russie, ce qui incite les acheteurs potentiels à un regain de prudence envers un pays capable, pour des raisons politiques, de ne pas donner suite à une affaire pourtant dûment négociée. Si l’Inde ne prendra sa décision qu’au premier trimestre 2015, l’enjeu d’un tel contrat, dont le montant dépasse les 12 milliards de dollars, n’est pas seulement d’ordre budgétaire. Constituant la première vente d’avions de type Rafale à l’étranger, ce marché s’avère capital tant pour Dassault que pour le ministère de la Défense. Les négociations se retrouvent donc victimes collatérales du refroidissement des relations internationales depuis le rattachement de la Crimée à la Russie.
Sanctions contre sanctions
Visant à condamner la Russie pour son attitude en Crimée et son rôle dans la crise ukrainienne, Bruxelles et Washington ont décidé d’appliquer à l’égard de Moscou, depuis le mois d’aout, une série de sanctions économiques. En guise de riposte, Vladimir Poutine a aussitôt promulgué la mise en place d’un embargo touchant de nombreux produits alimentaires en provenance des pays de l’UE, des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie et de la Norvège. L’économie française se trouve donc impactée par cette décision, qui la prive d’une part non-négligeable de ses exportations et qui menace certains secteurs déjà fragilisés par la crise. Si les producteurs de fruits et légumes et les filières bovines et laitières se trouvent directement concernées, des conséquences économiques encore plus étendues pourraient être à craindre.
Tout un marché en suspens
Concernant l’agroalimentaire, le commerce avec la Russie atteint, selon Xavier Beulin, le milliard d’euros de chiffre d’affaires et représente 8% des exportations françaises vers la Russie. Le président de la FNSEA précise que les marchandises interdites à l’exportation engorgent le marché et provoquent une baisse des prix préjudiciable au secteur. Premiers touchés, les producteurs de fruits et légumes voient se tarir un marché en croissance de 10% depuis dix ans et qui représentait 50.000 tonnes en 2013. Si des subventions européennes devraient être débloquées en urgence pour venir en aide aux plus fragilisés, les inquiétudes restent vives dans la filière, qui craint que la Russie ne se tourne à terme vers d’autres fournisseurs. Inquiétudes partagées par les éleveurs bovins et porcins, qui pâtissent eux aussi de la situation.
Un bilan difficile à chiffrer
Même si le contrecoup est encore plus rude pour des pays tels que l’Allemagne et l’Italie, les dommages pour l’économie française n’en sont pas moins préoccupants. 8ème pays exportateur vers la Russie et 3ème à l’échelle européenne, le manque à gagner pour la France pourrait d’ores et déjà se chiffrer à 745 millions d’euros. Des pans entiers de l’économie sont concernés par l’embargo, allant des maraichers aux distributeurs (à titre d’exemple, le groupe Auchan possède 200 magasins en Russie). Fort heureusement, l’embargo ne concerne pas les produits qui s’exportent le mieux. Y échappent ainsi les vins et spiritueux (156 millions d’euros en 2013), mais aussi les industries pharmaceutiques et chimiques. Pour l’Union européenne, les dommages économiques pourraient atteindre la somme de 7 milliards d’euros.
L’incertitude des Mistral
Le contexte actuel empêche donc la livraison des deux navires de guerre Mistral commandés et payés par la Russie en juin 2011. L’un des bateaux est terminé, tandis que débute la construction du second. Honorer un tel contrat, qui s’élève à 1,2 milliard d’euros, n’est pour la France pas à l’ordre du jour tant que la Russie poursuivra sa politique à l’est de l’Ukraine. Témoignage de l’impasse dans laquelle se trouve la situation, les 400 marins russes en formation à Saint-Nazaire ont regagné leur pays cette semaine.
Se pose la question du remboursement et des compensations que Moscou pourrait exiger pour le non-respect du contrat. Situation insoluble pour le ministère de la Défense, puisque les bateaux, répondant aux normes russes, se révèlent impossibles à vendre à un autre pays. Les ouvriers de Saint-Nazaire craignent quant à eux une annulation pure et simple de la commande, qui mettrait fin à la construction du second Mistral et qui mettrait en difficulté les 2500 employés du chantier naval et les dizaines de PME qui en dépendent.
Une situation intenable
Des centaines de millions de pertes pour l’économie française, des milliards pour les pays de l’Union européenne, mais aussi pour la Russie, importatrice de 35% de sa consommation alimentaire et qui se place dans une position extrêmement délicate. Si les sanctions occidentales pourraient lui faire perdre 32 milliards d’euros, les conséquences de l’embargo risquent aussi de déstabiliser une économie dans la tourmente. L’inflation qui fait rage, de nouveaux fournisseurs qui doivent être trouvés d’urgence pour assouvir les besoins des consommateurs, la baisse du prix du pétrole et la chute vertigineuse du rouble compliquent l’équation que devra résoudre Vladimir Poutine. A moins que cela n’accélère au contraire l’objectif d’autosuffisance que s’est fixé la Russie pour l’horizon 2030.
Seule une rapide et hypothétique sortie de crise en Ukraine pourrait mettre fin à cette situation délétère, à moins que la plainte déposée par Bruxelles auprès de l’OMC n’aboutisse à l’annulation d’un embargo aux conséquences déjà lourdes.