Blythe Masters est considérée comme la créatrice du sulfureux Credit Default Swap. Entrée à la banque JP Morgan à 22 ans, elle y a fait toute sa carrière, devenant l’une des femmes les plus puissantes du monde. Non sans laisser dans son sillage une odeur de scandale.
Tout commence sur les rivages glacés de l’Alaska. La nuit du 24 mars 1989, un tanker géant de la compagnie pétrolière Exxon est éventré par un haut fond. 50 millions de litres de brut s’échappent des cuves de l’Exxon-Valdes engendrant l’un des pires désastres écologiques de l’histoire.
25 000 milliards de dollars
Six ans plus tard, le gigantesque procès qui oppose la compagnie pétrolière Exxon à l’Etat de l’Alaska, au gouvernement américain et à plus de 150 organisations de défense de l’environnement, livre son verdict. Exxon est condamnée à verser un dédommagement de 5 milliards de dollars (ce montant sera ramené à 500 millions par la Cours suprême en 2008). Pour couvrir cette somme, la banque JP Morgan accorde à Exxon un crédit de 4,8 milliards de dollars. C’est à ce moment que Blythe Masters, jeune banquière, férue de mathématiques tout juste débarquée d’Angleterre, entre en scène. Avec son équipe, elle va « revendre » le risque que constitue cette ligne de crédit à d’autres établissements bancaires. Le CDS « Credit Default Swap » (dérivés sur événement de crédit) moderne est né.
Il va connaître un succès fulgurant au point de susciter une forte spéculation sur le risque. Tant et si bien que le CDS sera identifié comme l’une des causes de la crise financière de 2008. Selon le journal Le Monde, la crise de 2008 aura couté aux investisseurs près de 25 000 milliards de dollars, soit la moitié de la capitalisation boursière mondiale.
« Blythe Masters est une arme de destruction massive »
On comprend mieux dès lors pourquoi le journal anglais « The Guardian » a qualifié Blythe Masters « d’arme de destruction massive ». Blythe Masters est née dans le Kent en 1969. Elle s’est très tôt destinée à la banque. Après avoir effectué sa scolarité dans un établissement privé, elle va rejoindre l’université de Cambridge où elle obtient un Bachelor of Art (BA) en économie. Dès l’âge de 17 ans, elle occupe ses loisirs comme stagiaire à la banque JP Morgan. Avec 90 millions de clients, la JP Morgan est l’une des plus grosses banques mondiales. Blythe Master intégrera l’établissement en 1991. Très vite, elle va s’intéresser aux produits dérivés et à la gestion des risques.
On lui attribue la paternité de la version moderne du fameux Credit Default Swap (CDS). Le CDS est un instrument qui permet à un établissement financier de se couvrir face au risque de défauts de paiement. Quand une banque accorde un prêt, elle cherche à parer le risque de non remboursement. Elle passe alors un contrat avec un autre établissement. Celui-ci, moyennant le versement d’une prime annuelle, s’engage à payer la totalité du prêt dans le cas où les emprunteurs feraient défauts. C’est un instrument d’assurance classique dont les modalités d’applications se révèlent, dans le détail, très complexes.
Le Credit Default Swap va faire la fortune de Blythe Masters. A 28 ans, elle devient la plus jeune femme à devenir directrice de service à la JP Morgan. Après 2008, elle se défendra des accusations portées contre elle, en expliquant que le CDS ne peut être tenu pour responsable de la crise. « C’est un outil, déclarera-t-elle. Il faut distinguer l’outil de l’ouvrier ». Elle mettra en cause une mauvaise utilisation du CDS
Printemps arabe
En 2007, Blythe Masters quitte la gestion des risques pour reprendre la division matières premières de la JP Morgan. Sous son impulsion, la division va fortement se développer au point de concurrencer les banques Goldman Sach et Morgan Stanley, leaders dans ce domaine. La division qui compte à l’arrivée de Blythe Masters, une poignée d’opérateurs de marché (traders) en intégrera rapidement plusieurs centaines. Avec son équipe, elle achète farine, sucre, orange, aluminium… aux quatre coins du monde. Les quantités sont si importantes qu’elles permettent à la banque d’infléchir les prix de vente sur l’ensemble des marchés de la planète. Ces opérations vont déclencher des mouvements d’inflation vertigineux sur les produits de premières nécessités. Une hausse des prix qui entrainera des réactions de protestations dans de nombreux pays. Certains journalistes feront le lien entre ces opérations et le printemps arabe de 2011.
La Californie escroquée
Souvent critiquée pour son action, Blythe Masters bénéficie de nombreux soutiens. Elle peut ainsi compter sur l’appui de Jamie Dimon, PDG de la JP Morgan. En 2013, Blythe Masters va se retrouver une nouvelle fois au centre d’une gigantesque controverse. Au printemps 2013, la Federal Energy Regulatory Commission (FERC), instance de régulation pour l’énergie au Etats-Unis, met expressément en cause la JP Morgan, Blythe Masters et ses équipes dans une affaire d’escroquerie. La raison, l’achat et la vente d’électricité. La banque est accusée d’avoir gonflé les prix d’achats de l’électricité afin de réaliser une plus value lors de la revente de cette énergie aux états du Michigan et de la Californie. C’est plus de 73 millions de dollars qui auraient été ainsi dérobés aux contribuables américains. Blythe Masters est de plus accusée de fausse déclaration sous serment lors de son audition par la FERC. Soutenue une nouvelle fois par Jamie Dimon, elle va tout nier en bloc. Néanmoins pour éviter un procès, la JP Morgan acceptera, en juillet 2013, de payer un dédommagement de 410 millions de dollars.
Un renard dans la basse-cour
Est-ce l’affaire de trop ? En avril 2014, la JP Morgan annonce le départ de Blythe Masters. Dès août 2013, la banque avait pris la décision de démanteler la division matière première dont les résultats sont jugés insuffisants. Juste avant l’annonce de son départ, Blythe Masters a cependant fait une nouvelle fois le buzz. En février 2014, elle a rejoint le comité consultatif du la Commodity Futures Trading Commission (CFTC), un organisme de régulation du marché américain. La CFTC régule notamment le marché des métaux précieux dans lequel les banques ont de forts intérêts. Cette nomination a provoqué un immense tollé outre-Atlantique. Certains analystes n’hésitant pas à déclarer que « le renard était invité dans la basse-cours ». Blythe Masters a été contrainte de se retirer de la commission 24 heures à peine après l’avoir rejointe.
Aujourd’hui les spéculations sur l’avenir de Blythe Masters vont bon train. Selon la version officielle, « elle va prendre du temps pour elle ». Certains imaginent qu’après une carrière bien remplie et très lucrative, la banquière va se retirer pour s’adonner à sa passion de toujours : les chevaux. C’est une pratiquante émérite du saut d’obstacles. D’autres pensent au contraire, qu’elle prépare déjà une riposte. Quoiqu’il en soit, à 45 ans, Blythe Masters fait déjà partie des personnages légendaires de la finance. Elle a ainsi rejoint Marthe Hanau, la fameuse banquière des années 1920, interprétée au cinéma par Romy Schneider. Quant à évaluer le bilan de son action ? Le débat ne fait que commencer !