L’an dernier, une directive a été votée par le Parlement européen visant à forcer les banques à prendre leurs responsabilités et empêchant les états de leur venir en aide. La mesure attise toutefois de nombreux fantasmes.
Suite à la crise financière, puis économique mondiale qui suivit la crise des subprimes outre-Atlantique, de nombreux établissements bancaires se sont retrouvés en cessation de paiement ou au bord de la faillite. Les banques centrales ont alors mis en œuvre plusieurs plans de sauvetage de grandes banques qui n’ont pas toujours été bien accueillis par l’opinion publique d’une Europe en récession et condamnée à la rigueur.
En réponse à cela, une directive européenne est adoptée en 2014. Approuvée avec une écrasante majorité au Parlement européen, la BBRD (pour Bank Recovery and Resolution Directive) veut encadrer ce type de sauvetages dans l’espoir de responsabiliser les banques européennes.
L’objectif d’une telle directive, qui est applicable aux vingt-huit pays de l’Union, est d’abord préventif. Le texte a pour but « d’éviter l’insolvabilité » des établissements bancaires ou de limiter l’impact de leur insolvabilité sur les finances des Etats. Autrement dit, le but affiché est de mettre les banques devant leurs responsabilités et d’empêcher les états de venir à leur secours aux frais du contribuable. Mais tout n’est pas si simple…
Renflouer les banques pour éviter une crise systémique
La décision des Etats européens ou des Etats-Unis de recapitaliser certaines institutions bancaires a fait couler beaucoup d’encre. Mais il ne s’agissait pas uniquement de sauver l’emploi du guichetier de votre agence Caisse d’Epargne ou de faire plaisir à la famille Rothschild. Certes le lobby de la finance est très puissant et pèse sur de nombreuses décisions politiques, mais il faut bien comprendre que les banques ne sont pas des entreprises comme les autres.
Elles sont, qu’on le veuille ou non, un pivot majeur du système économique dans lequel nous évoluons. Avec la crise des subprimes en 2007, un manque de liquidités et une baisse de confiance avaient fait exploser les taux interbancaires au niveau mondial, c’est à dire les taux auxquels les banques se prêtent entre-elles de l’argent. Ces hausses se sont peu à peu répercutées sur les marchés boursiers (les actions des entreprises cotées), puis sur l’économie réelle avec une crise des crédits accordés aux ménages et aux entreprises pourtant essentiels pour innover et investir. En attendant l’émergence d’un nouveau modèle économique (ou non), la question de la stabilité du système bancaire est donc un enjeu majeur pour l’économie mondiale.
Qui paiera en cas d’effondrement d’une banque ?
Le sauvetage de grandes institutions financières tel que l’assureur Internationale Nederlanden Groep (recapitalisé par l’Etat néerlandais à hauteur de dix milliards d’euros) ou encore du groupe belge Dexia pour la bagatelle de 6,6 milliards d’euros (dont une grande partie financée par la Caisse des dépôts française), sont très mal passé dans
l’opinion publique. A l’heure ou l’on demande une rigueur budgétaire aux gouvernements en termes de dépenses publiques et où de nombreux
européens se serrent la ceinture, beaucoup de contribuables se sont sentis floués. L’objectif est donc de ne plus faire intervenir l’argent de contribuables pour réparer les erreurs de quelques banquiers intrépides.
En cas de faillite d’une banque, la directive prévoit que les actionnaires soient les premiers à mettre la main à la poche pour la renflouer. C’est ce que l’on appelle le principe de renflouement interne (ou bail-in).
De quoi garantir que le contribuable ne devra pas mettre la main à la poche pour sauver sa banque ? Pas si sûr. Car après la participation des actionnaires, les seconds à être mis à contribution seront les créditeurs, c’est à dire les épargnants. Bien sûr, cette participation est fortement encadrée, ne sera mise en œuvre qu’en cas d’extrême nécessité et ne concernera qu’une partie de l’épargne (au delà de 100.000 euros). Mais la mesure a été fortement critiquée, et nourrit de nombreux fantasmes.
Mais en économie comme en physique, rien ne se perd, « rien ne se crée, tout se transforme ». Les banques ont cette particularité peu commune pour une entreprise privée qu’elles ne produisent pas de richesse. Les banques sont en fait riches des dettes contractées par leurs clients et leurs réserves en liquidité sont constituées par les épargnes de ces derniers. Autrement dit, l’argent d’une banque, c’est un peu l’argent de ses clients et donc du contribuable. Même si la BBRD fait intervenir l’actionnaire comme un premier fusible en cas de crise, elle est aussi là pour nous rappeler qu’être client d’une banque, c’est avant tout laisser un tiers investir notre argent à sa place, ce qui comporte des risques.
La Commission met la pression
A ceux qui penseraient que la crise est derrière nous, l’actualité internationale leur envoie un rappel à l’ordre. Les autorités bancaires russes viennent de fermer quatre banques au bord de la faillite. L’Etat russe, pourtant interventionniste pour tenter de sauver son secteur bancaire, n’est pas en mesure de renflouer tous ses établissements déficitaires et a dû faire des choix. Dans le contexte d’une finance mondialisée, difficile donc de penser que l’Europe est à l’abri de nouveaux remous.
C’est peut être par crainte d’une nouvelle crise, dans un contexte géopolitique tendu, et dans une Europe affaiblie que Bruxelles tente de mettre la pression sur les pays n’ayant pas transposé la BRRD. La Commission européenne a déposé une plainte auprès de la Cour européenne de Justice à l’encontre du Luxembourg, des Pays-Bas, de la Suède, de la République Tchèque, de la Pologne et de la Roumanie. Malgré un motivé (sorte d’avertissement) envoyé le 28 mai dernier par la Commission européenne, ces Etats n’ont toujours pas retranscrit la directive dans leur droit national, ce qui aurait dû être fait depuis le 31 décembre 2014. Ils pourraient être contraints de payer des astreintes dont les montants n’ont pas encore été communiqués.
Un test pour l’Europe
Cette directive est aussi un test pour l’Union européenne qui a bien du mal à fédérer les Etats membres autour d’un projet commun. Sur la question des réfugiés, l’Europe a montré dernièrement une incapacité totale à réagir de manière collective sur des questions humanitaires. La directive BBRD peut être aussi vue comme un pas de plus vers une uniformisation du système économique et financier européen qui est l’un des fondements de l’Union. L’enjeu de la Commission européenne, qui pousse à la transposition de la BBRD, est aussi de réaffirmer son autorité supranationale dans une Europe en décomposition.