La crise en Ukraine et la frilosité du gouvernement britannique à soutenir des sanctions économiques contre la Russie met en lumière le réseau d’influence bâti par les oligarques russes au Royaume Uni. Le pouvoir des Roman Abramovitch, Alisher Usmanov, Oleg Deripaska, Vladimir Potanine, Alexander Lebedev ou encore Len Blavatnik est tel au sein de la City que la nécessaire unanimité européenne face à la Russie risque d’être difficile à trouver. Les Ukrainiens qui protestaient devant le siège londonien de la banque russe VTB contre le blanchiment d’argent sale russe auraient tout aussi bien pu manifester devant la Bourse de Londres.
Symbole de l’emprise russe sur la vie économique et politique du royaume, le London Stock exchange accueille 70 sociétés russes et se tient au centre de la toile tissée par les oligarques. Finance, transports, secteur extractif, distribution, les valeurs russes sont parmi les titres les plus négociés et Londres verrait d’un mauvais œil des retraits massifs de capitaux, un gel des introductions à la bourse de Londres ou encore une baisse des exportations de services financiers. La menace d’une sanction telle que le gel des avoirs a déjà amené d’importants retraits de fonds investis à Londres par des compagnies russes et le gouvernement britannique n’a aucun intérêt à voir le phénomène s’amplifier.
798 milliards de dollars
Le London Stock Exchange est la première destination à l’étranger des compagnies russes cotées et de nombreux oligarques amènent à Londres de vastes quantités d’argent. Même si un grand nombre des activités russes sont légales et légitimes, l’association Tax Justice Network dénonce un blanchiment organisé depuis Londres par des avocats, juristes et conseillers spécialisés. La ville leur sert ainsi de base arrière pour gérer leurs fortunes personnelles et profiter de montages juridiques opaques et parfaitement légaux. Pour avoir une idée chiffrée du problème, la banque centrale russe estime que les deux tiers de capitaux qui sortent de Russie proviennent d’activités illicites alors que Tax Justice Network estime que cette fuite s’élève à 798 milliards de dollars ces 30 dernières années.
Des oligarques proches du pouvoir britannique
Dans la mesure où le blanchiment ne se fait pas, pour des raisons de visibilité, à Londres, les investissements étrangers en Russie proviennent en grande partie de paradis fiscaux tels que Chypre, les îles Vierges britanniques et les Bermudes, qui dépendent plus ou moins directement de la capitale britannique. La City ne produit en fait rien mais vit confortablement des rentes prises sur l’argent étranger, en l’occurrence russe. En contre partie, les oligarques russes sont extrêmement bien intégrés à la vie et à l’élite britannique. Ils vivent dans les quartiers les plus chics, possèdent les bâtiments les plus chers comme ceux de One Hyde Park et dépensent plus de 90 millions de dollars en frais de scolarité en envoyant leurs enfants dans les écoles privées les plus cotées. L’argent russe est plus que jamais proche du pouvoir britannique.
Dans de telles conditions, difficile d’imaginer le gouvernement britannique prendre des sanctions contre la Russie. Malgré les protestations de façade, toute action risquant de provoquer un affaiblissement de la City semble inconcevable. Vladimir Poutine peut ainsi continuer à déployer ses forces armées en Crimée, sans trop se soucier des avertissements d’une Europe embarrassée, ne sachant choisir entre le droit international et les investissements russes. Entre intérêts financiers et économiques d’une part et l’avenir de la Crimée de l’autre, la balance semble pour l’instant pencher en faveur de la City.