Le coup de tonnerre du Brexit en juin 2016 n’en finit pas d’agiter le monde de la finance européenne et mondiale. Le cabinet d’audit Deloitte & Touche a estimé en 2017 que pas moins d’un tiers des travailleurs expatriés résidant au Royaume-Uni envisageait de quitter le pays suite à la sortie à venir de ce dernier de l’Union européenne. Parmi ceux-ci, une majorité d’urbains qualifiés, au premier rang desquels on compte bien sûr les employés des grandes institutions banquières londoniennes qui se verront dans l’obligation de transférer une partie de leur activité vers une autre place financière européenne. De par leur historique et leur puissance dans ce domaine ainsi que leur implication déjà profonde dans le système institutionnel bancaire européen Paris et Francfort semblent retenir l’attention des banques en partance, mais Dublin vient se positionner en embuscade.
Un exode inéluctable mais partiel
HSBC, Credit Suisse, UBS, Morgan Stanley, Sumitomo Mitsui, Goldman Sachs… La liste des banques ayant choisi de déplacer une partie de leur activité vers le vieux continent depuis le Royaume-Uni est déjà longue. Découlant du besoin de conserver un libre accès aux échanges européens, les établissements bancaires, comme le monde de la finance en général, ont annoncé depuis l’annonce des résultats leur profond désaccord, leurs craintes et leur déception face à l’orientation choisie par le peuple britannique.
Ce dernier restant souverain, les banques internationales ont dû prendre les mesures qui leur semblaient s’imposer, à savoir un déménagement d’une partie de leur activité dans une ville encore membre de l’UE et bénéficiant par là même des privilèges idoines, dont notamment la libre circulation des biens et des personnes via le système du fameux « passporting ».
Le passporting : le visa obligatoire pour les banques qui vise le marché européen
Le passporting est le terme qui regroupe l’ensemble des dispositions mises en place par l’Union européenne permettant aux banques du monde entier de proposer leurs services aux clients finaux européens, à condition d’être implantées dans un pays membre. De nombreuses banques avaient donc choisi Londres comme porte d’entrée pour proposer leurs solutions d’investissements, leurs services de paiement et l’ensemble des services bancaires classiques aux entreprises et consommateurs de l’Union européenne. Londres était ainsi en 2014 le premier exportateur de services financiers vers l’UE avec un montant annuel de 26 milliards d’euros. C’est l’ensemble de cette activité qui se trouvait compromise en territoire anglais avec le Brexit.
On peut donc comprendre l’attrait de certaines villes du vieux continent pour cette manne de sociétés et de travailleurs particulièrement aisés et rentables, et pour l’opportunité inespérée de renforcer leur position sur l’échiquier financier international… Anne Hidalgo, la maire de Paris, l’avait ainsi annoncé avec aplomb deux semaines seulement après la victoire du non au référendum britannique : elle souhaitait profiter du vide laissé par le Brexit pour faire de Paris la première place financière européenne. Bruno Le Maire avait même surenchéri et prétendait détrôner Londres au palmarès mondial.
La compétition des places financières européennes
Mais la concurrence est rude ! Francfort, tout d’abord, est nettement mieux placée que Paris. Il s’agit de la 10e place financière mondiale, la seule avec Londres en Europe à pouvoir prétendre à un statut d’ordre intercontinental, avec tout ce que cela implique en matière d’infrastructures informatiques, de sociétés de services connexes etc. Paris ne figure qu’à la 23e place et est généralement qualifiée de place régionale. La culture libérale boursière et bancaire de Francfort est d’ailleurs bien plus profondément ancrée dans son histoire économique, face à une capitale française beaucoup plus marquée au cours des siècles par son interventionnisme et le strict contrôle des échanges, du marché et du travail. C’est aussi à Francfort qu’est implantée la BCE (la Banque centrale européenne), et le gouvernement allemand a annoncé à l’occasion du Brexit souhaiter un réajustement des règles financières et un assouplissement du droit du licenciement dans le secteur bancaire.
Dublin, bien qu’arrivant à la 37e place mondiale au classement des puissances financières, peut également se montrer séduisante en raison de la langue anglaise. De plus, ses législation et réglementations ultra libérales sont beaucoup plus proches de celles du voisin britannique. La capitale irlandaise est ainsi choisie par de nombreuses institutions bancaires.
Toutefois, notamment aidée par un fort volontarisme politique, la France a réalisé un joli « coup » en 2018 en accueillant l’EBA (l’Autorité bancaire européenne) et ses 3000 banquiers qu’on attendait plutôt à Francfort, et figure aujourd’hui en tête des destinations choisies pour les relocalisations post-Brexit. Jusqu’alors boudée par les grosses pointures de la finance mondiale en raison d’un environnement législatif dissuasif, la place parisienne a fini par susciter l’intérêt de HSBC, Morgan Stanley, Bank of America ou encore Goldman Sachs, notamment grâce aux réformes fiscales et sociales libérales engagées par le gouvernement Macron.
Le « Brexodus » n’aura pas lieu
Cette fuite des banques pour le continent reste à tempérer : si les premières études estimaient que jusqu’à 20.000 postes allaient quitter la City pour l’Union européenne, ce chiffre est aujourd’hui beaucoup moins important qu’annoncé, plus proche de 7000. On peut y voir l’effet des avancées récentes liées aux négociations entre le Royaume-Uni et l’UE sur le Brexit, et le « Brexodus » n’aura donc pas l’ampleur initialement prévue, en tout cas dans un premier temps. Les annonces de relocalisations massives de la part des banques étaient sans doute avant tout destinées à mettre la pression sur le gouvernement britannique.
Londres reste avec New York au sommet de la hiérarchie mondiale de la finance, loin devant ses poursuivants européens. Si le Brexit a entaillé la statue londonienne, il ne fait pas encore trembler son piédestal.