En retard en la matière par rapport aux autres grandes puissances, l’Union européenne a finalement adopté un mécanisme de filtrage des investissements étrangers. Approuvée le 29 mai dernier par la commission du Commerce international du Parlement européen, le texte doit encore obtenir l’aval des États membres et risque d’être l’objet de discussion délicates. Le sujet est plutôt clivant car si la France et l’Allemagne sont enthousiastes, les États plus libéraux font preuve de plus de réticences.
Ce nouvel ensemble juridique donne la possibilité à chacun des 28 États membres d’établir des cadres de « screening » pour les investissements étrangers. Si l’un d’eux active ce mécanisme alors il devra avertir ses partenaires européens. Et, dès lors qu’un tiers des États estimera que l’investissement est dangereux, l’opération sera l’objet d’une concertation. Par ailleurs, le texte adopté donne également droit de regard à la Commission européenne quand les entreprises concernées ont bénéficiées de fonds européens.
Les secteurs stratégiques concernés
Bruxelles a dressé une liste de secteurs pouvant être concernés par le mécanisme de filtrage des investissements étrangers. On y trouve notamment des activités stratégiques pour la sécurité et l’ordre public comme les industries de défense, l’aérospatiale, l’automobile et les haute technologies. Les infrastructures de transport, de fourniture d’énergie ou de stockage de données, les réseaux de communication et les terres agricoles seraient eux aussi touchées par ces nouvelles réglementations.
Le mécanisme de filtrage des investissements étrangers intègre également un concept de réciprocité. Le degré d’ouverture de l’Etat tiers d’où vient l’investissement pourra être pris en considération. En d’autres terme, une opération venant d’une entreprise canadienne ou chinoise sera évaluée différemment. Avec ce dispositif, c’est bien entendu la Chine qui est visées en premier lieu. Quasiment inexistant jusqu’en 2011, les investissements chinois auraient atteint selon l’European Think-tank Network on China, 58 milliards de dollars.
Se renforcer face aux appétits chinois et à l’unilatéralisme américain
Les groupes chinois ont été au cœur d’opérations retentissantes ces dernières années avec par exemple le rachat du port du Pirée en Grèce, de l’aéroport de Toulouse-Blagnac en France ou encore de Kuka outre-Rhin. L’OPA sur l’un des fleurons industriel allemand avait déclenché la colère du gouvernement fédéral qui avait ensuite durci le contrôle des investissements étrangers. De son coté, Emmanuel Macron, alors encore candidat à l’élection présidentielle, avait plaidé pour un contrôle des investissements étrangers en Europe.
Toutefois, l’ancien ministre de l’Economie avait donné son aval à une opération controversée en autorisant la reprise de la branche énergie d’Alstom par General Electrics. Ce rachat est emblématique de la guerre économique que livreraient les États-Unis aux entreprises européennes. De plus, dans un contexte de guerre commerciale et de poussée de l’unilatéralisme américain, l’Union européenne se doit d’adopter une attitude moins naïve. Les États-Unis pesaient 41 % des investissements en Europe en 2015.
Composer avec des philosophies différentes
L’adoption de ce mécanisme est un symbole fort. L’Union européenne est l’un des marchés les plus ouverts au monde pour ce qui concerne les investissements directs étrangers. De plus, l’article 63 du TFUE (Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) interdit les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et les pays tiers. Toutefois, l’Union européenne doit composer avec des approches philosophiques différentes en matière de protection des actifs. En effet le Royaume-Uni a ainsi une approche plus libérale que celle des Français
La protection des entreprises européenne face aux investissements étrangers a encore un long chemin à parcourir. S’il est un premier pas notable, il est très peu contraignant pour les États membre de l’Union. L’Europe n’a pas vocation à se refermer aux investissements étrangers comme en atteste la probable prise de contrôle de l’opérateur électrique EDP, la plus grande entreprise du Portugal, par le groupe China Three Gorges ou les 100 millions d’euros d’investissements chinois sur le port de Marseille.