Face aux crises sociales et écologiques, ainsi qu’aux enjeux liés à la gestion des ressources, théoriciens et chercheurs sont à la recherche de nouveaux systèmes économiques et de production : économie circulaire, permaculture, biomimétisme, économie de la fonctionnalité, collaborative, entreprenariat social, mise en réseau… Ces stratégies, bien qu’ayant beaucoup de complémentarités, peinent à former une alternative consistante et globale au paradigme actuel du produire plus. L’économie symbiotique veut mettre en cohérence ces modèles et réaligner l’activité humaine avec les grands cycles naturels de la planète.
À l’origine de la théorie de l’économie symbiotique on trouve Isabelle Delannoy, une ingénieure agronome, coscénariste de « Home » de Yann Arthus-Bertrand. Elle s’est inspirée d’un procédé biologique qui favorise l’association réciproque entre deux espèces différentes. Selon elle, les principales innovations économiques durables du demi-siècle dernier ont une structure commune basée sur les pratiques collaboratives. Elles forment des écosystèmes renouvelables ayant un impact positif. Mises ensembles, ces innovations créent un modèle économique régénératif porteur d’une croissance mutuelle.
Bousculer le rapport de l’homme au vivant
L’économie symbiotique substitue le modèle extractif à sens unique par un ensemble de systèmes s’enrichissant les uns les autres. Pour ce faire, elle s’appuie sur trois piliers : le vivant, l’humain et les technologies. Pour Isabelle Delannoy, « l’information traduite par les hommes rend la technique ultra-efficiente, tandis que la technique des machines rend l’intelligence collective des hommes et les écosystèmes encore plus puissants ». La permaculture nécessite entre autres une grande technicité et de grandes connaissances pour reproduire la diversité, la stabilité et la résilience des écosystèmes naturels.
L’économie symbiotique est une révolution philosophique car elle bouscule le rapport de l’homme au vivant. Isabelle Delannoy considère que la crise écologique est avant tout une crise « mythologique ». La pensée selon laquelle l’homme est au-dessus de la nature se retrouve depuis l’antiquité grecque et s’est perpétuée dans les religions abrahamiques, puis a perduré à la renaissance. René Descartes a notamment développé l’idée de l’homme « maître et possesseur de la nature ». Toutefois, elle est remise en question depuis les années 2000 et l’émergence de l’urgence climatique.
La mutualisation entre l’homme et la nature
L’idée que le vivant est une ressource inerte, exploitable à l’infinie, est de moins en moins admise. Ainsi, l’économie symbiotique est propre, parcimonieuse et positive. Elle développe la biodiversité, le cycle de l’eau et l’absorption de carbone, et au lieu d’exploiter la nature à outrance, l’homme l’enrichit. Les ingénieurs peuvent même trouver une source d’inspiration majeure dans la complexité des écosystèmes (formes, matières, propriétés, processus…). Le biomimétisme, une des composantes de l’économie symbiotique, considère par exemple la nature comme un modèle voir un mentor.
Toutefois, elle n’est pas seulement une mutualisation entre l’homme et la nature, elle intègre également le modèle collaboratif de l’économie du partage, exploite les technologies de l’information et stimule l’innovation sociale. Et les résultats sont parfois originaux ! Ainsi des agriculteurs canadiens ont développé une ferme urbaine en plein cœur de Montréal. Située sur le toit d’un immeuble, elle produit 100 tonnes de fruits et légumes par an et est capable de nourrir 1.500 familles. L’économie symbiotique stimule ainsi les circuits courts, encourage l’économie locale et protège les spécificités culturelles.
Une approche qualitative de la croissance
L’économie symbiotique ne s’oppose pas à croissance mais l’aborde de manière plus qualitative et efficiente en prônant des économies drastiques. Isabelle Delannoy estime donc que « les interactions entre la puissance des écosystèmes naturels, l’intelligence humaine et la technologie permettraient de vivre tout aussi bien qu’aujourd’hui en réduisant de 90 % nos prélèvements sur la nature ». C’est une question d’autant plus d’actualité que les tensions sur le vivant pourraient augmenter avec la croissance de la population mondiale si en même temps l’humanité reste enfermée dans un modèle productiviste.
L’économie symbiotique est un concept radicalement nouveau. En effet au lieu de détruire les écosystèmes, l’activité humaine les régénère tout en distribuant les richesses équitablement. Elle porte également la voix de populations souvent exclues de la pensée économique. Tout d’abord, pour construire sa théorie, Isabelle Delannoy a étudié des modèles mis en place dans des pays du sud. Ensuite, elle donne la parole aux femmes. À l’instar de l’ingénieure française, elles sont souvent pionnières dans le symbiotique. On citera notamment Janine Benyus, mère du biomimétisme, Elinor Ostrom, conceptrice de la gouvernance des biens communs ou Lynn Margoulins, théoricienne de la symbiose.