Jeudi, à minuit, comme à l’habitude on pourra entendre raisonner sur toute la planète le doux « pop » du beaujolais 2013. En 2012, le célèbre vin fruité ne coula pas à flots. La rue Mercière à Lyon, haut lieu du Beaujolais nouveau, était déserte dès 1 h du matin… symbole d’une crise profonde tant financière, conjoncturelle que structurelle qui touche tout un vignoble.
Pour connaître une récession, il faut avoir connu le succès et celui du beaujolais nouveau ne date pas d’hier. Le négoce, vecteur principal des volumes de beaujolais nouveau aujourd’hui (82 %, source Interbeaujolais), s’en est emparé dès les années 60 et a su transformer un phénomène national-régional en un événement mondial. Bon nombre de négoces, avec en tête celui de Goerge Duboeuf, ont en effet mené une politique d’exportation très audacieuse et terriblement efficace dès l’ouverture du marché mondial.
Rapidement, les pays voisins de la France ont été conquis, puis dans les années 80 ce fut au tour du reste du monde avec le démarrage de campagnes aux USA, Canada, Australie et Japon. Cette stratégie d’exportation fut un énorme succès et ainsi, tout en préservant son marché local, le marché a su augmenter son assiette de consommateurs et ainsi assurer une croissance en volume constante pour le produit pendant plus de 20 ans.
Les années 90 : la gloire apparente, mais les prémices d’une récession
Le monde dans les années 70 – 90 : mondialisation, baisse des droits de douane, le marché commun… C’est dans ce contexte que le beaujolais nouveau a réussi à devenir un produit mondialement connu en suivant intelligemment les tendances économiques exportatrices.
À partir des années 90, cette tendance à suivre le marché économique global va se révéler être également le vecteur de problèmes financiers. En effet, l’exportation nécessite des échanges de devises monétaires, et donc la réussite commerciale de l’exportateur se trouve en partie tributaire du cours des monnaies.
Or dans les années 90, le monde connait une mutation financière et monétaire basée sur l’idée que l’endettement public est une solution créatrice de valeur ajoutée. S’en suit en 1992 et 1993 une crise monétaire sans précèdent. Cette forte fluctuation du cours des monnaies utilisées par les exportateurs de beaujolais les oblige à chercher des solutions de protection.
Pour cela, les banquiers ont mis en place dès les années 80, les SWAPS, des instruments financiers qui permettent d’avoir un prix fixe moyennant une petite commission. Cette stratégie oblige l’exportateur à anticiper ses échanges de monnaies et ainsi la planification financière fait son apparition chez bon nombre de négociants. Cette financiarisation de la profession va avoir une répercussion rapide : la première crise de volumes pour le beaujolais nouveau en 1995 et 1996.
Un décalage entre la production grandissante et les achats
Les volumes commercialisés de beaujolais nouveau connaissent un creux de 1994 à 1997. Or on ne constate aucune baisse de la production globale de beaujolais durant ces années, mais plutôt une rationalisation des achats de la part des négociations : on cherche à évaluer par avance et donc on calcule au plus juste. Il s’en découle alors un décalage entre la production grandissante de beaujolais et les achats de beaujolais nouveau.
Les vignerons se retrouvent alors avec d’énormes quantités de « beaujolais » en appellation régionale à écouler, le cours s’effondre et une première crise apparait en 1996. Conscients du lien qui les unit aux vignerons, les négociants décident dès 1997 d’inverser la tendance et de se réapprovisionner un peu plus en beaujolais nouveau. Cependant, il semble que le marché commence déjà à s’essouffler et dès 1999, le marché repart à la baisse…
Cette tendance, malgré des succès à l’export, et en particulier en Asie, ne sera pas inversée, et le marché est aujourd’hui deux fois inférieur à ce qu’il était à l’époque. Et 2012 ne contredit pas cette dynamique.
Une récolte historiquement faible et un beaujolais 2012 passé inaperçu
En 2012, les aléas climatiques ont précipité le Beaujolais face à ses responsabilités. Gel, pluies diluviennes, grêles… la récolte de 2012 fût historiquement faible avec seulement 190 000 hl pour le beaujolais nouveau et beaujolais nouveau village, soit une diminution de 30 % des volumes, du jamais vu de mémoire de vignerons !
Avec ce niveau de rendement extrêmement faible, les viticulteurs ont donc naturellement anticipé des tensions sur les approvisionnements pour le millésime et donc sur les prix à la production. Ainsi en 2012 le beaujolais nouveau s’est négocié à 1,65 € la bouteille en moyenne contre seulement 1,26 € en 2011 et une moyenne de 1,28 € pour les 10 dernières années.
Cependant cette hausse significative du cours n’est qu’une réponse rationnelle du marché à une baisse de 30 % des volumes présents et ne démontre en aucun cas une revalorisation du produit. C’est même le contraire qui semble se produire, car nous sommes ici dans un cas flagrant de produit à l’élasticité négative voire nulle (1 % de produit en moins implique une chute du prix de 1 %), or la caractéristique d’un bien recherché est d’avoir une élasticité prix positive.
La spirale des pertes financières
Mais le beaujolais nouveau n’est pas un produit recherché aujourd’hui, car son prix ne reflèterait pas l’image de sa qualité, mais qu’au contraire il soit uniquement lié à la loi de l’offre et de la demande. Cependant, la comparaison de l’évolution de son volume sur neuf ans avec l’évolution de son cours laisse entrevoir un effet un peu plus complexe, et peut être les premiers signes d’une revalorisation du produit.
En effet, son cours semble remonter depuis 2007, après cinq ans de dévalorisation alors que les volumes, eux, continuent de chuter. Les performances de la récolte 2012 permettent de supposer que la région est peu à peu en train de réussir à revaloriser le produit d’un point de vue économique, cependant les pertes financières semblent entraîner la région dans une spirale d’inflation des prix sans que pour autant les trésoreries et la situation des dettes dans la région ne s’améliorent. Même si le problème structurel de la région semble se résorber, la conjoncture semble pousser la région dans ses retranchements.
500 exploitations en cessation de paiement
La faillite de ses vignerons semble prendre une ampleur sans précèdent et cette année pourrait marquer un coup fatal pour certains. En effet, en 2012, plus de 500 exploitations dans le Beaujolais étaient en cessation de paiement obligeant les Directions départementales du Territoire du Rhône et de Saône-et-Loire à créer un Fonds d’Allègement des Charges (FAC) doté de 200 000 € pour leur venir en aide.
Cette annonce témoigne de l’inquiétude ambiante dans la région. Jean Bourjade, délégué général d’Inter Beaujolais déclarait : « Il ne s’agit pas de dépôts de bilan, mais d’impossibilité temporaire d’honorer ses créances. Un certain nombre de ces domaines devraient s’en sortir. Nous sommes passés d’un problème structurel (qui était quasiment résorbé) à une année particulière, aux enjeux conjoncturels. »
La hausse significative du cours du beaujolais au cours de ces six dernières années semble en effet aller dans le sens de Jean Bourjade. Une crise structurelle se définit par un prix qui diminue parallèlement à une raréfaction du produit. Or le retournement de tendance observé à partir de 2007 entame un nouveau cycle économique du produit vers un équilibre de marché, une sortie de crise pourrait-on dire.
Cependant il faut rester vigilant dans les années à venir, car le vin est un produit par nature lié aux aléas météorologiques et donc conjoncturels, ainsi si une crise structurelle revenait en même temps qu’une crise conjoncturelle, les finances de la région ne s’en remettraient pas !