Quels bénéfices une administration fiscale peut-elle espérer tirer de la vente légale de marijuana ? Que représente réellement un marché qui est longtemps resté souterrain, et donc difficilement évaluable ? Les expériences menées dans certains Etats outre-Atlantique permettent de tirer quelques éléments de réponse.
L’Exemple du Colorado
En 2013, cet Etat de 5 millions d’habitants comptait 500 points de vente, appelés dispensaires, chargés de délivrer toutes sortes de variétés de cannabis aux 110 000 personnes titulaires d’une ordonnance. Ces dispensaires ont vendu, en 2012, pour 186 millions de dollars de marchandise, et ont généré 5,4 millions de taxes sur ces ventes. Conséquence d’un référendum, une nouvelle loi, entrée en vigueur le 1er janvier 2014, autorise la distribution de cannabis à usage récréatif, sans nécessiter de prescription médicale. Depuis, 59 détaillants se sont déclarés à l’administration fiscale, et ont rapporté 2 millions de dollars en impôts pour le mois de janvier, auxquels se rajoutent 1,5 millions prélevés sur les ventes de cannabis médical.
Au total, le cannabis a plus rapporté que l’alcool pour la même période (2,7 millions de dollars). Les taxes sont fixées à 15% sur la consommation, et 2,9% sur les ventes. Des taxes qui devraient, selon les autorités, rapporter près de 118 millions pour l’année en cours. Les bénéfices serviront en priorité à la construction de nouvelles écoles, ainsi qu’à la prévention des toxicomanies lourdes. Et les recettes ne devraient cesser d’augmenter, puisque l’administration fiscale du Colorado prévoit que le marché du cannabis sera multiplié par cinq en l’espace de cinq ans. A la condition toutefois que les taxes ne soient pas trop élevées, afin de ne pas favoriser l’apparition d’un marché parallèle échappant à tout contrôle.
Des conséquences parfois inattendues
Les Etats ayant autorisé la vente de cannabis, que ce soit à usage médical ou récréatif, bénéficient aussi d’un certain dynamisme sur le front de l’emploi et de la création d’entreprises. Au Colorado, un afflux de touristes est constaté, venant des Etats voisins pour s’y procurer légalement une substance interdite chez eux. Des tour-opérateurs proposent même des circuits sur le thème du cannabis. Autre conséquence : la ville de Denver connait une véritable expansion de l’immobilier, avec un taux de vacance des sites industriels anormalement faible, selon le Denver Post. Une forte demande de bâtiments pouvant abriter la culture des plants de cannabis dope ainsi le secteur de l’immobilier.
Une économie naissante
Mais l’économie du cannabis est une économie à part entière, soumise aux aléas de l’offre et de la demande. Ainsi, en 2011, le commerce s’est emballé et la baisse des prix a provoqué un véritable crash, entrainant la disparition des commerces les plus fragiles. Cet épisode n’a pas effrayé les nombreuses entreprises qui se sont engouffrées dans ce secteur, et certaines, cotées en bourse, ont vu leurs actions atteindre des sommets. Les investissements souffraient jusqu’alors d’une loi fédérale interdisant aux banques d’accorder un prêt à des entreprises vendant un produit qui est toujours considéré comme illégal à l’échelle du pays. Cette loi a été assouplie le 14 février 2014 et les banques peuvent donc traiter avec les acteurs de l’industrie du cannabis.
Le paradoxe des Etats-Unis
Considérés depuis les années 1970 comme le fer de lance de la lutte anti-drogue, les Etats-Unis ont, sous l’initiative de certains Etats, initié depuis la fin des années 1990 une politique d’accès légal à la marijuana à des fins thérapeutiques. L’usage de cette substance est aujourd’hui autorisé dans 20 Etats, et représente un marché d’environ deux milliards de dollars. 25 millions d’Américains consomment chaque année 14 000 tonnes de cannabis, et le poids de l’industrie de la marijuana médicale pourrait être estimé entre 45 et 100 milliards de dollars à l’échelle nationale. Les recettes fiscales engendrées s’élèveraient à 13,7 milliards de dollars. De plus, les détenus incarcérés pour des infractions liées à la marijuana coutent 1 milliard de dollars par an, qui seraient économisés en cas d’un assouplissement de la loi. Le Colorado représente donc un cas d’école et est observé de près par les autres Etats qui pourraient être tentés de franchir le pas de la légalisation. Ce que s’apprête d’ailleurs à faire l’Etat de Washington dans le courant de l’année.
Le cas de l’Uruguay
Fin 2013, le président uruguayen José Mujica a approuvé un projet de loi légalisant totalement le cannabis. Mesure saluée par The Economist, qui attribue à l’Uruguay le prix de « pays de l’année » 2013. Le texte, qui devrait être appliqué mi-2014, prévoit une régulation totale par l’Etat de la production et de la vente de marijuana. Bien que cette mesure soit réalisée en grande partie pour lutter contre les narcotrafiquants, les bénéfices envisagés avoisineraient les 5 millions de dollars par an pour ce pays de 3,5 millions d’habitants.
Et en France ?
En 2011, Daniel Vaillant, député PS et ancien ministre de l’Intérieur, signait un rapport préconisant la légalisation du cannabis. La perspective d’un monopole d’Etat sur la production et la commercialisation de ce produit était envisagée, à l’image de la Seita. Selon une étude publiée par Pierre Kopp, la légalisation des drogues douces représenterait une manne d’un milliard d’euros de recettes fiscales. De plus, les 80 000 individus interpellés chaque année pour infraction à la législation sur les stupéfiants coûtent 300 000 millions d’euros à l’Etat.
Historiquement, la France a déjà eu l’occasion de réguler, au cours du XXème siècle, le marché du cannabis au Maroc, alors sous protectorat. La « Régie des kifs et des tabacs » y supervisait la production et la distribution du produit.