Et si les justiciers des temps modernes portaient des costumes-cravates ? En 2010, suite à la crise qui secoua le monde de la finance en 2008, a été créée l’ONG Finance Watch. Depuis, elle sert de contre-pouvoir à l’industrie de la finance mondiale et ses membres, loin d’afficher un profil d’activistes, sont d’anciens acteurs de la finance écœurés par le système qu’ils ont servi pendant plusieurs années.
Arborant toujours leur look de banquier, leur but est de combattre leur ancienne industrie tout en continuant d’adopter ses codes afin de garder un pied dans le milieu et d’être au fait de toutes les tendances et de tous les enjeux.
100 lobbyistes pour 30 politiques
Finance Watch voit le jour à Bruxelles en 2010 sous l’impulsion de Pascal Canfin et Jean-Paul Gauzès, deux eurodéputés français perturbés par le dangereux rapport de force imposés par les lobbyistes de la finance. « En commission, nous étions une trentaine d’élus compétents face à des centaines de lobbyistes du secteur bancaire qui nous sollicitaient sans arrêt », concède Jean-Paul Gauzès. Au total, ils réunissent une vingtaine d’eurodéputés qui signent en juin 2010 un texte appelé « call for a Finance Watch ».
Pascal Canfin rencontre par la suite Thierry Philipponnat, un ancien trader d’UBS et de BNP Paribas, lui aussi déçu de son propre milieu. Ensemble, ils décident de poser les fondations de la future ONG qui bénéficie dès le départ d’un fonds européen d’un million d’euros et qui doit absolument rester apolitique pour être crédible. Le but n’est pas non plus de balancer des noms et de procéder à des vagues de dénonciations en torpillant le secteur financier. Une telle conduite n’aurait aucune chance d’aboutir face au lobbying tout puissant de la finance et l’ONG en serait décrédibilisée.
Le combat mesuré mais juste de Finance Watch attire bon nombre d’anciens financiers venus de l’Europe entière : Anglais, Belges, Français ou Allemands viennent gonfler les effectifs. Tous des anciens de la finance, traders, directeurs de banque, communicants ou conseillers bancaires qui culpabilisent ou ne se retrouvent plus dans cette industrie déconnectée du quotidien des mortels.
Un poids de plus en plus lourd
Présente depuis près de dix ans, Finance Watch dispose de fonds européens ainsi que de fonds caritatifs pour financer son programme. Elle prend de l’épaisseur, influe sur la commission européenne qui avait besoin de ce contre-pouvoir capable d’alerter sur les mauvais agissements du secteur financier. Toujours en contact avec « l’intérieur », les membres de Finance Watch disposent de renseignements en interne même s’ils ont perdu la majorité de leurs « amitiés » professionnelles qui ont considéré leur changement de trajectoire comme une folie.
L’ONG intervient surtout sur des arguments techniques. Il s’agit de d’analyser et d’interpréter les réglementations et d’en tirer des recommandations à destination des décideurs politiques. On peut citer la protection des petits investisseurs ou des PME, l’encadrement de la spéculation sur les matières premières, ou encore l’encadrement du trading.
Déçu par les réactions des élus qu’il juge trop immobiles et contraints par les lobbyings, Benoît Lallemand, le secrétaire général de Finance Watch, occupe l’espace médiatique et donne des interviews afin d’alerter le grand public qu’il estime plus conscient des enjeux que les représentants politiques.
La prochaine crise sera bien plus violente
« Avant les années 1980, le monde financier était au service de l’économie, aujourd’hui il est devenu son maître », estime le Belge qui prône, à travers le slogan #ChangeFinance, une finance durable pour inverser une tendance qui a déjà prouvé sa dangerosité lors de la crise de 2008. Le secrétaire général prévient : « La prochaine crise pourrait être bien plus violente que la précédente ».