Mathieu Pigasse, qui collectionne tous les attributs de la méritocratie à la française, fait figure de trublion dans le monde si feutré de la banque d’affaires. Volontiers inspiré par les groupes punk nihilistes, il investit une partie de sa fortune dans les médias (presse, radio, audiovisuel).
Un parcours classique d’élite à la française
Mathieu Pigasse aurait pu faire carrière dans la presse à l’instar de son père (secrétaire général de l’hebdomadaire La Manche Libre) ou son frère (Nicolas, qui fut Directeur de la rédaction du magazine Public). Au lieu de cela il emprunte toutes les voies d’un parcours classique de l’élite à la française : Sciences Po Paris, ENA puis un petit « détour » par Bercy en 1998 comme conseiller technique de Dominique Strauss-Kahn puis comme directeur-adjoint du cabinet de Laurent Fabius en charge des questions industrielles et financières.
Un banquier d’affaires très avisé
Son carnet d’adresses à Bercy lui ouvre les portes de la banque d’affaires Lazard en 2002 dont il gravit rapidement les échelons (associé-gérant, vice-président Europe puis dirigeant de Lazard France en 2010 avec la casquette complémentaire de responsable mondial des fusions et acquisitions depuis le printemps 2015).
Parmi les opérations les plus spectaculaires sur lesquelles Mathieu Pigasse est intervenu figurent la vente par Canal+ du PSG à Qatar Sports Investments (QSI), la fusion Suez et Gaz de France, le rapprochement entre la Caisse d’Epargne et la Banque populaire et la restructuration des dettes publiques de l’Argentine, de l’Equateur ou de la Grèce.
Les paradoxes d’un dandy millionnaire adepte de l’ascétisme
Mathieu Pigasse cultive les paradoxes. Côté clinquant, il est, à 48 ans, multimillionnaire grâce ses activités de banquier d’affaires. Il résiderait de façon permanente dans une suite à plus de 1 000 € la nuit de l’hôtel Coste, rue Saint Honoré dans le 1er arrondissement de Paris. Son vêtement de travail de banquier chic : des costumes sur mesure griffés Dior, des Church ou Weston aux pieds.
Côté zen : il s’impose une discipline de fer, dort très peu (4 heures par nuit), mange de façon extrêmement frugale pour faire mentir l’image d’Epinal du banquier ventripotent des caricatures de Daumier. Le régime type de cet ascète nouveau genre : thé vert et cuisine japonaise. Un diktat : sortir de table sans être rassasié, pour rester sous tension. Une citation de Cioran à la clé : « le ventre a été le tombeau de l’Empire romain, il sera inéluctablement celui de l’intelligence française ».
Côté déjanté : Mathieu Pigasse se targue de décompresser en ingurgitant des heures de téléréalité (Koh Lanta, Confessions intimes ou L’incroyable famille Kardashian) et en passant une partie de ses nuits sans sommeil sur des jeux vidéo comme Assasin’s Creed ou Mario Kart.
Côté intellectuel : Pigasse produit des essais brillants comme « Le monde d’après », avec Gilles Finchelstein, qui analyse les conséquences de la crise financière de 2008, « Révolutions » en 2012 sur la nécessaire refondation de l’Europe ou dernièrement « Eloge de l’anormalité », titre clin d’œil qui réclame des hommes politiques de l’audace et du courage.
Une devise : « sans peur et sans limite »
Mathieu Pigasse dénote dans le monde réputé feutré de la banque d’affaires. Il est adepte des opérations commandos avec ses équipes dans des missions de renégociation de dette souvent périlleuses : l’exemple le plus médiatisé fut le contrat de Lazard aux côtés de gouvernement Tsipras pour sauver la Grèce de la banqueroute.
Mathieu Pigasse est régulièrement surnommé le « banquier punk » et pour cause : il voue une passion dévorante pour le punk-rock. Son groupe fétiche : The Clash. Sa chanson culte : « Garageland » que Pigasse résume grossièrement « on est un groupe de garage, mais on vous emmerde car on va changer le monde ».
Citizen Pigasse : le nouveau magnat des médias français
L’atavisme familial pour la presse semble avoir rattrapé Mathieu Pigasse. En 2009, il devient propriétaire du magazine Les Inrocks, 1er investissement dans le monde des médias. Il devient ensuite actionnaire du journal Le Monde avec ses partenaires Pierre Bergé (ancien associé d’Yves Saint Laurent) et Xavier Niel (emblématique patron de Free). Depuis sa frénésie d’acquisitions ou participations financières dans le monde des médias (presse et désormais audiovisuel ou radio) est sans fin : Pink TV, Huffingtonpost, Nouvel Obs, Radio Nova et Vice France. Dernier acte d’une stratégie multimédia bien calculée : la création de Mediawan disposant de 250 millions d’euros pour investir dans des médias européens.
Mathieu Pigasse se veut inclassable : banquier-punk omniprésent dans le monde des médias. Certains lui prêtent des ambitions dans le monde politique. Classé à gauche, soutien de Ségolène Royal en 2007, il pourfend aujourd’hui le quinquennat Hollande. Aura-t-il un jour un parcours ministériel semblable à celui d’Emmanuel Macron, un de ses ennemis jurés, passé par la banque concurrente Rothschild ? Difficile d’imaginer l’avenir de Mathieu Pigasse alors que lui-même a adopté la devise de son groupe de rock favori : « No Future ».