Alors que le marché des véhicules électriques est en pleine croissance, la force de frappe asiatique en matière de production de batteries met à mal l’Union européenne, qui tente péniblement de mettre ses industriels en ordre de bataille. Parmi eux, le géant Total semble quand même avoir pris une longueur d’avance.
Qui dit véhicules électriques dit batteries au lithium. Moins toxiques, plus légères et plus puissantes, ces dernières sont surtout massivement recyclables. Dès lors, en maîtriser les circuits de production et de vente revient à se positionner sur un marché d’avenir hautement stratégique, sur lequel la France a pris du retard.
Retard à l’allumage
Et pourtant, c’est bien en France qu’a été inventée la première batterie au lithium en 1980. Malheureusement, au début des années 2000, les constructeurs automobiles de l’Hexagone ne croient pas au potentiel des véhicules électriques, à l’inverse des constructeurs asiatiques. C’est donc logiquement qu’aujourd’hui, la Chine, la Corée du Sud et le Japon contrôlent 80 % de la production mondiale de batteries, dont 65% pour le seul empire du Milieu. Pire, les rares usines de batteries installées en Europe appartiennent à Samsung, CATL ou encore à LG Chem.
Les gouvernements européens se trouvent ainsi face à un dilemme : soutenir la voiture électrique revient « à gonfler les portefeuilles d’affaires » des géants asiatiques qui fournissent l’écrasante majorité des batteries aux constructeurs européens. De quoi sérieusement questionner l’indépendance économique et énergétique des pays d’Europe.
L’Airbus des batteries peine à décoller
Pour contrer ce quasi-monopole, l’Union européenne tente justement de s’unir. Fin 2017, elle lance l’Alliance européenne des batteries, European Battery Alliance (EBA), une initiative plus couramment appelée l’Airbus des batteries qui a déjà demandé l’injection d’aides publiques colossales. D’abord en 2019, avec 3,2 milliards d’euros (dont 960 millions injectés par la France) puis en janvier dernier, avec 2,9 milliards supplémentaires. Des investissements significatifs censés encourager le secteur privé à rejoindre le projet et à s’allier pour la construction d’usines sur le sol européen. En théorie.
Renault, par exemple, devait participer au projet en ouvrant une usine dans le Nord de la France en partenariat avec Total et PSA, avant de revenir sur sa promesse. Surtout, et sans le nommer, Renault évoquait également une autre alliance avec « un fournisseur de longue date qui est coréen » que les observateurs devinent être LG Chem.
Néanmoins, le marché de l’emploi local peut se réjouir, puisque l’alliance entre Total et Stellantis (nouveau groupe résultant de la fusion entre PSA et Fiat) semble maintenue, même sans Renault. Cela pourrait signifier que deux usines de batteries verraient finalement le jour dans le Nord de la France au cours des années à venir.
Accélération totale
Cela serait également une nouvelle victoire pour Total qui ne chôme pas depuis le lancement de l’EBA. Parmi les industriels européens, le géant de l’énergie est sans doute celui qui rattrape le plus efficacement son retard sur la concurrence asiatique grâce à Saft, l’entreprise française (présidée par Ghislain Lescuyer, également vice-président du groupe Alstom) spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de batteries. Devenue une filiale de Total à 100 % en 2016, elle est également le fer de lance de l’Hexagone dans cette guerre des batteries, avec une usine-pilote actuellement en cours de construction à Nersac en Charente.

Hors des frontières de l’UE, Saft a également frappé très fort en devenant le fournisseur des batteries embarquées par les rames du métro de Moscou fabriquées par Metrowagonmash, entreprise faisant partie du groupe Transmashholding (possédé par les deux influents hommes d’affaires russes que sont Andrey Bokarev et Iskander Makhmudov). Nommée MSX, cette batterie installée sous le plancher des rames moscovites leur permet de rallier la station la plus proche même en cas de coupure de courant – une performance exceptionnelle compte tenu du poids des trains et la vitesse nécessaire. Fabriqués à Bordeaux, les éléments de MSX constituent une belle percée sur un marché russe habituellement dominé par son voisin chinois.