2017 aura été une année mémorable pour l’industrie musicale : pour la première fois, les revenus du streaming ont dépassé ceux des ventes physiques, générant au premier semestre 87,5 millions de chiffre d’affaires contre 85 millions pour les disques compacts et autres vinyles. Les données fournies par le Snep confirment l’inexorable progression de la diffusion musicale en ligne : 4,5 milliards de morceaux étaient ainsi écoutés en 2014, contre 19,4 milliards aujourd’hui. De quoi redonner le sourire à des majors qui peinaient à sortir de la crise du disque amorcée durant les années 2000.
Au plus fort de la tempête, les chiffres d’affaire des principales maisons de disques, Warner, Sony et Universal Music avaient chuté de plus de 50 %, malmenés par le téléchargement illégal et les atermoiements d’une industrie incapable de s’adapter à de nouveaux modèles économiques.
Le streaming, longtemps considéré avec méfiance, a fini par séduire les majors qui ont pu, en signant d’avantageux contrats, proposer leur catalogue aux principaux acteurs du marché. Selon le cabinet Ovum, les trois prochaines années devraient entériner la forte baisse des ventes sur support physique (compact-discs et vinyles) au profit du streaming, qui progressera durant cette période de 131 %. Cette sortie de crise, effectuée grâce au seul streaming, satisfait les maisons de disques qui renouent avec un bénéfice à deux chiffres, ainsi que les prestataires qui multiplient les abonnements payants. Mais qu’en est-il des principaux acteurs, c’est-à-dire les artistes ?
Les créateurs laissés pour compte
La rémunération d’un artiste n’est pas la même selon la manière dont est vendu son morceau ou son album. Gagnant en moyenne un euro par CD vendu, il faudra en revanche que l’un de ses titres soit écouté 2500 fois en streaming pour lui rapporter la même somme. Ces chiffres ne peuvent être qu’une approximation, tant les montants varient selon les prestataires. Alors que Tidal et Napster rémunèrent respectivement à hauteur de 0,0125 et 0,0190 dollar par écoute, la moyenne se situe, pour les sites tels que Deeze ou Spotify, à 0,0050 dollar par écoute. Encore faut-il que l’artiste appartienne à un label connu.
Pour les indépendants, la rémunération par Spotify, pour ne citer que l’exemple le plus criant, plafonne à 0,0038 dollar. Un système critiqué par les auteurs d’autant plus que cette mauvaise redistribution des revenus se double d’une opacité entretenue à la fois par les sociétés de streaming et par les majors, dont les contrats restent calqués sur l’ancien modèle économique.
Déséquilibre flagrant
Dans un documentaire diffusé sur France 3 consacré à Spotify, une intervenante affirme que 92 % de la rémunération versée par le leader du streaming atterrit directement dans les poches des majors, au grand dam des artistes. La situation est encore pire du côté de YouTube.
Le site de vidéos, qui appartient à Google depuis 2006, est devenu le principal vecteur de musique en ligne. 900 millions d’utilisateurs s’y connectent pour y écouter de la musique ou regarder des concerts. Pourtant, le site est toujours considéré par la loi comme un hébergeur de contenus, ce qui le dispense de fournir la même rémunération que des sites tels que Spotify ou Deezer. Alors que les acteurs du streaming fédèrent une base de 212 millions d’usagers et reversent aux maisons de disques 3,9 milliards de dollars, YouTube n’octroie à ces dernières que 553 millions de dollars. Soit un dollar versé par YouTube lorsque les autres prestataires en versent 18.
Si la situation est actuellement examinée par la Commission européenne, une modification des statuts de YouTube ne modifierait que très légèrement la rémunération des artistes, dont certains pourraient se tourner vers de nouveaux prestataires plus respectueux de leurs droits.
A la recherche d’un streaming équitable
Quelques entrepreneurs proches des artistes ont décidé de faire bouger les lignes. Resonate, start-up fondée par Peter Harris, propose un modèle original : un ticket d’entrée à très bas coût, qui permet de découvrir de nouveaux morceaux pour une somme modique. Si l’on écoute plusieurs fois le même titre, son prix augmente de manière significative, ce qui permet de soutenir les artistes que l’on apprécie le plus. Au bout de la dixième écoute, le consommateur possède le titre et peut le réécouter indéfiniment en n’ayant plus rien à payer.
WavLive, basée à Paris, verse tous les revenus aux seuls artistes, leur propose de choisir le mode de distribution de leur musique et de toucher leurs revenus au bout 48 heures, contre plusieurs mois pour Spotify ou Deezer. Enfin, le logiciel Saga, qui en est encore à ses balbutiements, permet aux créateurs de surveiller très précisément la diffusion de leurs titres, quelles plateformes les proposent en ligne, combien d’écoutes ont été générées. Ce qui leur permet de réagir en cas d’usage inapproprié de leur œuvre et de réclamer le cas échéant une juste rétribution.
Enfin, une nouvelle convention collective prévoit une rémunération des artistes à la hausse. Annoncé comme le sauveur de l’industrie musicale, le streaming annonce-t-il un nouvel âge d’or ou, au contraire, marquera-t-il un net recul des conditions de l’artiste ?