C’est tout le commerce international et toute la géostratégie mondiale qui se trouvent impactés par le déploiement des nouvelles routes de la soie. Le projet, initié par la Chine, reçoit aujourd’hui le plein appui de la Russie, qui développe ses infrastructures afin de s’assurer une place majeure dans l’économie du XXIe siècle.
A 600 kilomètres au nord du cercle polaire, sur la péninsule de Yamal bordée par l’océan arctique, on trouve l’un des plus grands complexes gaziers de Russie. Un port et une ville de 11.000 habitants, ont été construits là en quelques années pour acheminer le gaz naturel de la Sibérie vers l’Europe sur des supertankers brise-glace de plus de 300 mètres de long. A l’origine de ce chantier titanesque, la compagnie russe Yamal LNG s’est associée avec le Français Total et un consortium chinois. Ce projet, tout comme la construction d’un port géant à Arkhangelsk sur la mer blanche, illustre la coopération entre la Russie et la Chine pour la construction des nouvelles routes de la soie.
La première liaison ferroviaire Chine-Angleterre
C’est en 2013 au Kazakhstan que Xi Jinping le président de la République populaire de Chine évoque pour la première fois les nouvelles routes de la soie, et le projet est officialisé en 2015. L’Empire du Milieu souhaite ainsi sécuriser le transport de ses marchandises à travers le monde, notamment l’Europe et les marchés émergents de l’Afrique. En effet, aujourd’hui 90 % des marchandises chinoises transitent via le canal de Suez. Une situation qui met la Chine à la merci d’un blocus du canal en cas de tensions internationales.
A travers les routes de la soie, Xi Jinping souhaite s’émanciper du passage par Suez. Le plan de Pékin est simple, privilégier toutes les options de transports (ferroviaire, maritime ou encore routier) qui pourront se substituer au canal de Suez. Illustration de cette nouvelle politique : en avril 2019, le premier train de marchandises reliant la Chine et le Royaume-Uni est arrivé à Londres en provenance de Yiwu, dans la province du Zhejiang, après un voyage de 12 000 kilomètres via la France, la Belgique, l’Allemagne, la Pologne, la Biélorussie, la Russie et le Kazakhstan.
900 milliards de dollars investis par la Chine !
Le projet des nouvelles routes de la soie a d’abord été accueilli avec une certaine réticence par les autorités russes. Moscou voyait en effet dans les investissements que la Chine opère dans les républiques d’Asie centrale comme l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan ou encore le Turkménistan, un risque de perte d’influence.
Mais deux facteurs vont jouer en faveur d’un rapprochement russo-chinois. Tout d’abord la Russie ne peut s’aligner sur le montant colossal que la Chine investit dans ces nouveaux axes (le cabinet d’audit Deloitte évoque la somme de 900 milliards de dollars). Puis, dès 2013, la crise ukrainienne va obliger Vladimir Poutine à réviser sa politique de développement. La perte du marché ukrainien conjuguée au blocus imposé par l’Europe et les États-Unis va conduire Moscou à une volte-face pour se retourner vers son voisin chinois.
Par ailleurs, l’essentiel du fret ferroviaire emprunte encore la ligne de chemin de fer la plus célèbre au monde : l’axe du Transsibérien russe. Des entreprises telles que Russian Railways ou encore Transmashholding leader dans le domaine de l’ingénierie des transports et dont l’homme d’affaires Iskander Makhmudov est l’un des principaux actionnaires, comptent parmi le grand nombre d’autres fleurons de l’industrie russe à s’inscrire dans ce projet des nouvelles routes de la soie chinoises.
Fonds d’investissement commun sino-russe
Cette nouvelle orientation de la Russie trouve sa confirmation en avril 2019, à Pékin, au deuxième forum des nouvelles routes de la soie dont l’invité d’honneur est Vladimir Poutine. Dans son discours, Vladimir Poutine valide pleinement la participation de la Russie aux nouvelles routes de la soie. « La Russie est un allié et un partenaire important de la Chine concernant la promotion de la coopération internationale dans le cadre de l’initiative des nouvelles routes de soie », déclare-t-il.
Depuis, la Russie et la Chine ont décidé de créer un fonds d’investissement de 10 milliards de dollars afin de bâtir des projets communs dont une autoroute reliant le Kazakhstan et la Biélorussie. La Russie bénéficie également de l’influence diplomatique chinoise pour signer de nouveaux contrats commerciaux.
Par ailleurs, Moscou et Pékin concentrent leurs efforts sur la zone arctique afin d’accélérer la création d’une route de la soie du Nord. Ainsi, en avril dernier, lors du dernier forum sur l’Arctique à Saint-Pétersbourg, les deux pays ont signé un accord de coopération scientifique. L’enjeu est majeur. Le transit des marchandises par les ports de l’extrême-nord russe serait 40 % plus rapide que le passage par le canal de Suez. En 2018, 20 millions de tonnes de marchandise sont passées par cette voie, les experts estiment que ce volume sera quadruplé d’ici 2025.
La nécessité du dialogue
A terme, les nouvelles routes de la soie vont constituer une infrastructure majeure dans le transit des marchandises mondiales. En 2017, le projet couvrait déjà 65 % de la population mondiale et 40 % du PIB de la planète. Et il est destiné à s’étendre. C’est ainsi tout l’économie mondiale qui va être impactée. Si la Russie et la Chine collaborent maintenant étroitement et semblent bien parties pour prendre une place déterminante dans ce nouveau commerce mondial, l’Europe est à la traîne comme le regrette l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin.
« Qu’est ce qui nous empêche d’avoir un comité de pilotage des routes de la soie avec la Chine ? », demande-t-il. « Aujourd’hui, le plus grand danger serait de s’enfermer dans une vision passéiste de l’histoire. Il faut entamer le dialogue ». Un message que Vladimir Poutine et Xi Jinping semblent avoir pleinement entendu.