La France réalise 57 milliards d’euros d’échanges avec les pays d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et du Golfe, ce qui représente 15% de son commerce extérieur en 2014. Depuis 10 ans, le montant des échanges entre la France et le monde arabe a progressé de 51%. Au-delà de ces chiffres en apparence flatteurs, les décideurs et les entreprises de l’Hexagone doivent sans doute revoir leur approche et leur compréhension de cette zone du globe pour y être plus performants – dans un contexte de transition politique souvent complexe et difficile.
Pierre Bonnard a été président de la Chambre de Commerce Française pour les Pays du Proche et Moyen-Orient, de 1999 à 2011. Familier de cette région du monde où il a longtemps vécu et travaillé, ce passionné de géopolitique est naturellement un grand connaisseur du monde des affaires des pays arabes.
Aujourd’hui vice-président du Center for Political & Foreign Affairs (CPFA), Pierre Bonnard réside désormais à Dubaï et continue de conseiller des entreprises françaises et européennes qui souhaitent s’implanter et développer leurs affaires au Moyen-Orient. Il nous livre son regard de spécialiste sur le climat local des affaires, ainsi que sur les perspectives économiques qui s’offrent aux entreprises françaises dans cette zone.
LBF : Pendant douze ans, vous avez été président de la Chambre de Commerce Française pour les Pays du Proche et Moyen-Orient. Quelle vision des affaires retirez-vous de cette longue expérience ? Quel bilan pour la France et les entreprises françaises ?
Pierre Bonnard : Une certaine déception. Cette période aurait pu être jalonnée de nouveaux contrats d’envergure pour les grands groupes français, malheureusement ça n’a pas ou trop peu été le cas. Certes, le savoir-faire français est reconnu à l’étranger, mais nous ne sommes plus les seuls, la concurrence est rude et il faut en tenir compte à chaque instant. Anticiper les besoins des clients, s’adapter coûte que coûte à leurs demandes spécifiques, se remettre en question et ne pas agir en terrain conquis, sont des exigences auxquelles les entreprises françaises ne prêtent pas suffisamment attention.
Par ailleurs, l’immixtion maladroite des gouvernements successifs n’a pas facilité les choses, alors que, à des moments précis des négociations commerciales, leur rôle aurait pu être crucial. Il y a là un manque de communication et de coordination quasi-systématique…
Les PME-PMI s’en sont paradoxalement mieux sorties. Leur approche plus directe, leur réactivité et la plus grand simplicité de leurs réseaux de décision, leur ont permis, à leur échelle, de meilleurs succès.
LBF : Avez-vous constaté des changements économiques majeurs dans le monde arabe, au cours de cette période charnière (1999 à 2011) ?
Pierre Bonnard : Bien sûr et les révoltes qui ont surgi au printemps 2011 en sont sans doute le meilleur révélateur. Le développement d’internet et des nouvelles technologies de communication ont permis au plus grand nombre d’avoir accès à l’information, de la maîtriser et de l’utiliser dans tous les secteurs, aussi bien sociaux qu’économiques.
Ces nouveaux outils ont permis à tous les pays du monde arabe – et plus largement à tous les Pays du Sud – un véritable bond dans le temps et de les positionner ainsi au même niveau que l’Occident en terme d’appréhension des différents secteurs et acteurs économiques au plan mondial. Cette capacité de compréhension leur permet désormais de mettre en concurrence immédiate toutes les entreprises souhaitant obtenir des marchés dans le monde arabe. C’est en même temps une chance pour les entreprises qui ont face à elles des interlocuteurs en phase avec leur époque et capables de faire des choix rapidement. Inventivité, adaptabilité, formation, transfert partiel de technologies, deviennent dès lors des clés indispensables à la réussite des entreprises qui souhaitent remporter des marchés dans ces pays.
LBF : Quelles sont les spécificités du monde arabe en termes de business ?
Pierre Bonnard : Difficile de réduire le monde arabe en un ensemble homogène, même au plan des affaires. Il y a des mondes arabes, constitués par chaque pays, dont l’histoire, les traditions, la culture, la situation géographique et le développement économique en font un interlocuteur spécifique et unique.
Néanmoins, ces pays ont en commun l’envie de se développer le plus rapidement possible, afin de mettre en pratique ce que les nouvelles technologies de l’information leur ont appris. Contrairement aux apparences, l’ouverture d’esprit et la nouveauté les caractérisent assez bien. Le facteur temps qui a souvent été vécu comme un handicap par les entreprises occidentales s’en trouve lui aussi modifié et il est désormais possible de remporter des contrats dans un temps raisonnable.
LBF : La France et ses entreprises doivent-elles réapprendre le monde arabe pour y réussir ? Quelles sont les clés de compréhension qui peuvent manquer à nos dirigeants, sur ce point ?
Pierre Bonnard : Réapprendre non, mais certainement se remettre en question et échanger avec respect et sur un même pied d’égalité. S’informer est le maître-mot. La plupart des informations sont disponibles, il suffit juste d’aller les chercher et d’adapter sa posture commerciale en conséquence. Ne pas avoir d’idées préconçues sur tel ou tel pays, telle ou telle attitude, rester patient et être toujours ouvert à la discussion, même si la situation semble mal engagée ou changeante. Dans le monde arabe, les lignes peuvent toujours bouger, même quand tout semble perdu. La porte n’est jamais réellement fermée…
LBF : « Il y a une césure entre l’excellence de nos relations politiques et le fait que sur le plan économique cela pourrait mieux marcher » déclarait Laurent Fabius en mars 2014 à propos des relations économiques entre la France et le monde arabe, lors d’un colloque à l’Institut du monde arabe. Peut-on partager ce constat ?
Pierre Bonnard : Certes, les relations politiques sont devenues plus équilibrées, mais il serait souhaitable que nos ambassades deviennent, comme celles des États-Unis et de la Grande-Bretagne, de réels relais de développement pour les entreprises françaises.
Les services économiques des ambassades françaises devraient notamment s’inspirer des méthodes de l‘intelligence économique, si souvent brandies par les hommes politiques comme une véritable solution face à la concurrence.
LBF : L’une des faiblesses structurelles de l’économie française, c’est notamment la difficulté des petites et moyennes entreprises à grandir et à gagner des parts de marché à l’étranger. Comment encourager les échanges économiques entre le monde arabe et les PME françaises ? Quels conseils donneriez-vous à une entreprise française, petite ou grande, qui chercherait des opportunités de croissance, voir même à s’implanter, dans le monde arabe ?
Pierre Bonnard : On pourrait prendre exemple sur l’UK Trade & Investment (UKTI) et les British Business Councils, dont le savoir-faire à l’étranger leur a garanti de nombreuses réussites ces dernières années dans le monde arabe.
Les PME pourraient mutualiser leurs offres de manière à présenter un ensemble cohérent couvrant un plus large spectre économique qui leur offrirait ainsi davantage d’opportunités. Dans le cadre de leurs recherches, les PME peuvent aussi compter sur le réseau d’UBIFRANCE, dont les informations sont généralement assez pertinentes.
Il serait sans doute aussi souhaitable que les multinationales françaises associent, dès l’origine, leurs sous-traitants, les PME-PMI, dans leurs démarches à l’export, les faisant ainsi profiter de leur « sillage commercial ».