Face à la mondialisation économique qui dépossède l’Etat de son influence, et aux solutions faciles des mouvements populistes, nos sociétés démocratiques font face à un enjeu d’envergure : comment redonner du sens et une place « au politique », entendu au sens de « dirigeants » disposant de l’expérience, de la probité et des compétences requises pour servir l’intérêt général ?
Une étude américaine* portant sur 1200 dirigeants (chefs d’Etat, Premier ministre ou ministre de l’Economie et des finances) des pays développés du continent européen, sur la période 1973/2010, a cherché à évaluer « la compétence technique des responsables des politiques économiques dans les démocraties développées », entendue au sens de « diplômé en sciences économiques ».
Juger la compétence des dirigeants en période de crise
Une des conclusions de cette étude est que nos dirigeants montent en compétence lorsque la crise économique frappe leur pays. L’exemple français illustre ce phénomène : après la fin des Trente Glorieuses, une plus grande technicité des hommes politiques apparait en France sous les traits de Valéry Giscard d’Estaing, inspecteur des finances, chargé de gérer le 1er choc pétrolier. Raymond Barre, agrégé de sciences économiques, devra pour sa part faire face, comme ministre de l’Economie et des finances puis comme Premier ministre, à la hausse du chômage et de l’inflation.
Deux décennies plus tard, durant la crise financière et bancaire de 2008, Christine Lagarde, brillante avocate d’affaires, sera chargée de tenir le cap au poste de ministre de l’Economie.
La mondialisation ou l’illusion du politique maître du jeu économique
La mondialisation, véritable révolution caractérisée par une accélération des processus économiques (échanges de biens et services) et financiers (les capitaux circulent à la vitesse permise par les technologies de l’information) limite grandement le pouvoir des décideurs politiques.
Facteur aggravant, leur instabilité dans leurs fonctions traduit l’éphémère prise sur la réalité économique. Ainsi entre 1986 et 2016 il y a eu 21 ministres de l’Economie en France prouvant donc une absence flagrante de maitrise des enjeux économiques.
Pourtant, les risques financiers sont forts et occupent l’agenda politique de nos démocraties : la crise de 2008 n’a pas encore fini de produire ses effets délétères que réapparaissent aujourd’hui de nouvelles menaces. Le danger existe de nouvelles faillites bancaires liées au risque spéculatif non seulement sur les crédits aux particuliers mais aussi à ceux accordés aux entreprises. Le système financier chinois est également au bord du risque systémique avec ses ondes de choc imprévisibles sur l’économie mondiale. La zone euro est menacée par le risque de Brexit au Royaume-Uni…
L’économie mondialisée est dans les mains des banquiers centraux
2011 : Christine Lagarde est nommée directrice générale du FMI (Fonds monétaire international) succédant à Dominique Strauss-Kahn (passé également par le ministère de l’Economie). Tous deux symbolisent le basculement du pouvoir de gestion des crises économiques et financières des mains des dirigeants politiques vers les banquiers centraux (Fed, Réserve fédérale américaine, BCE, Banque centrale européenne, FMI…).
Jusqu’au début de la décennie 80, le pouvoir politique pouvait encore manier de nombreux leviers pour piloter l’économie nationale (taux de change, politique budgétaire…). Désormais, les grandes banques centrales sont perçues comme les acteurs omnipotents de l’économie mondialisée par la prépondérance d’un seul instrument, la politique monétaire.
Redonner la primauté au politique pour faire accepter les réformes structurelles
Ainsi la compétence technique en matière économique et financière, lorsqu’elle est présente, ne garantit pas une maitrise de l’action de l’Etat face à des mouvements de mondialisation et de financiarisation de l’économie.
Finalement, le seul moyen de redonner à nos dirigeants une place centrale, pour l’instant occupée par les banquiers centraux, est de créer des nouvelles conditions d’exercice du pouvoir. Cela ne consiste pas simplement à produire et imposer des réformes, qui parfois se heurtent à des mouvements sociaux d’ampleur difficiles à maitriser (tels que « Podemos », « Syriza » en Grèce ou « Nuit debout » en France) mais à trouver le bon discours de la méthode réformiste.
L’enjeu de nos dirigeants politiques est d’éviter deux écueils. Celui de laisser le pouvoir aux mains des banquiers centraux, sans légitimité démocratique et dont les outils technocratiques (politique monétaire) ne correspondent pas aux nécessités d’organisation de nos sociétés. Et celui des solutions faciles servies par les sirènes populistes que l’on entend aux deux extrêmes du spectre politique.
Les nouveaux dirigeants, au-delà de la nécessaire compétence technique qu’on est en droit d’attendre, doivent ainsi proposer aux citoyens un nouveau type de projet politique. Celui-ci doit être étayé par un diagnostic pertinent, une stratégie d’action et des outils de mise en œuvre des réformes qui comprennent également et surtout une dimension de pédagogie et de communication propres à les faire partager par le plus grand nombre de citoyens.
* “The Technical Competence of Economic Policy-Makers in Developed Democracies”, Mark Hallerberg, Hertie School of Governance, et Joachim Wehner, London School of Economics & Political Science (LSE), juillet 2013