Dans le paysage souvent feutré de la finance française, Laurence Méhaignerie détonne. Cofondatrice de Citizen Capital, elle incarne une génération d’investisseurs qui veulent donner du sens à l’argent. Depuis plus de quinze ans, elle défend une idée simple mais audacieuse : prouver qu’il est possible d’investir dans les entreprises tout en cherchant un impact social et environnemental positif. Mais derrière son parcours inspirant, sa démarche suscite aussi des débats et des critiques, parfois au cœur même du milieu qu’elle contribue à transformer.
Une pionnière qui veut réconcilier finance et engagement
Formée en lettres et en communication, Laurence Méhaignerie n’avait rien d’une banquière à l’origine. C’est en observant les fractures sociales et territoriales françaises qu’elle s’est convaincue que la finance pouvait devenir un outil de changement. En 2008, elle fonde Citizen Capital avec l’idée d’accompagner les entreprises à mission, celles qui placent la performance économique au service d’un projet collectif.
Sous son impulsion, Citizen Capital est devenu l’un des acteurs de référence de la finance à impact en France. Le fonds investit dans des entreprises qui favorisent la diversité, la transition écologique ou l’inclusion économique. Méhaignerie y a instauré une approche exigeante : chaque investissement doit démontrer son utilité mesurable pour la société.
Elle a également contribué à faire évoluer la réglementation et la perception du secteur. Membre active de la Communauté des entreprises à mission, elle milite pour une économie plus responsable et pour la reconnaissance juridique des entreprises engagées. Son influence dépasse le cadre financier : elle fait partie de celles qui ont aidé à structurer le mouvement de la finance durable en France, longtemps marginalisé.
Entre convictions sincères et critiques récurrentes
Si son engagement est salué, il n’échappe pas aux polémiques. Certains observateurs reprochent à Laurence Méhaignerie une vision jugée trop institutionnelle de la finance à impact, plus proche de la communication que de la transformation réelle. Les critiques pointent parfois une « gentrification » de l’investissement à impact : les mêmes cercles de décideurs, les mêmes conférences, peu de place laissée aux entrepreneurs issus de milieux populaires qu’elle prétend pourtant soutenir.
D’autres soulignent le paradoxe d’un modèle qui reste, malgré ses intentions, soumis aux logiques du rendement. Citizen Capital, comme d’autres fonds d’investissement, doit garantir des retours à ses actionnaires ; certains estiment que cela limite la portée sociale de ses actions. À l’heure où le « greenwashing » et l’« impact washing » deviennent des sujets brûlants, le fonds de Méhaignerie se trouve parfois pris dans le feu croisé des attentes : trop militant pour les uns, trop financier pour les autres.
Pourtant, Laurence Méhaignerie assume ces tensions. Elle rappelle que transformer un système de l’intérieur demande du temps, des compromis et du courage. Son approche pragmatique – allier rigueur financière et valeurs – s’inscrit dans une vision de long terme, loin des effets d’annonce.
Aujourd’hui, Laurence Méhaignerie incarne une finance plus consciente, mais aussi plus exposée. Son parcours illustre les contradictions d’un secteur en mutation : entre idéal et rentabilité, entre conviction et complexité. En cherchant à réconcilier éthique et économie, elle avance sur une ligne de crête – fragile, mais nécessaire – qui redéfinit peu à peu les contours du capitalisme français.
Photos : blog.sowefund.com
