D’un montant astronomique, l’amende infligée à la BNP Paribas par les autorités financières américaines a défrayé la chronique. Place des embargos, « extraterritorialité » des sanctions de l’Oncle Sam, diplomatie franco-américaine, hégémonie du dollar : nombreux sont les sujets de fond que ces quelque 8,83 milliards de dollars ont relancé. Un mois plus tard, retour à froid sur l’affaire.
Quel réel impact va avoir la sanction de BNP Paribas sur le moyen-terme ?
Entre le discours rassurant des intéressés, et les prédictions apocalyptiques non moins biaisées de ceux qui font du scandale leur fond de commerce, on aura tout entendu sur les possibles conséquences de l’affaire pour BNP Paribas. Avec du recul, son impact semble en fait plus nuancé : fort à court-terme, et gênant à moyen-terme, il est pourtant loin de mettre en péril l’activité globale de la banque…
8,83 milliards de dollars, c’est l’amende qu’a dû payer la BNP Paribas le 30 juin 2014 après avoir plaidé coupable pour « falsification de documents commerciaux » et « collusion » dans le cadre d’une violation d’embargo auprès de la justice américaine. L’amende correspond à la somme des échanges illicites en dollars qu’a effectués BNP Paribas avec des clients au Soudan (6,4 milliards $) à Cuba (1,7 milliard) et en Iran (650 millions) entre 2002 et 2009. Des « pratiques systématiques », dissimulées par des dirigeants haut placés, et qui ont perduré malgré les avertissements lancés dès 2006 par les autorités financières des Etats-Unis.
S’ajoute à cette amende l’interdiction d’effectuer des opérations de compensation en dollars sur les marchés concernés par l’affaire : le pétrole et le gaz. Enfin BNP Paribas se voit dans l’obligation de se séparer des cadres incriminés dans l’affaire.
Conséquences : l’amende aura un impact fort sur le résultat net 2014 qui a toute les chances d’être nul voire négatif. Déjà au deuxième trimestre 2014, la banque enregistre une perte nette de 4,3 milliards d’euros due à l’enregistrement des 6 milliards d’euros de charges exceptionnelles. La nécessaire externalisation des activités de compensation tout au long de l’année 2015 risque de faire perdre des clients importants à la BNP Paribas, prolongeant dans la durée la portée des sanctions. Enfin, la banque se sépare d’une vingtaine de managers, dont son directeur général délégué, Georges Chodron de Courcel.
Pour autant, la sanction ne met en aucun cas en danger la banque dans son ensemble. Solide, celle-ci s’est voulue rassurante en rappelant à ses clients que leurs dépôts étaient en sécurité. L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution a déclaré la BNP Paribas capable de faire face aux conséquences des sanctions.
Du “jamais vu” : en quoi la sanction a été aussi brutale qu’inattendue ?
Une fois la sanction officielle, les pseudo-experts se sont bagarré la palme de celui qui avait su la prédire mieux que les autres. Reste qu’elle a été une première historique à de multiples égards et qu’elle a pris tout le monde au dépourvu.
D’abord en raison de son montant record. Une première dans les affaires d’embargo, c’est la plus importante amende jamais imposée à une banque non-américaine. Elle est égale à 8 fois ce que la BNP Paribas avait provisionné en anticipation. A titre de comparaison, les banques ING et Chartered avaient écopé de 600 millions de dollars d’amende pour des affaires similaires en 2012.
Ensuite, en raison des causes de la sanction. Il est crucial de rappeler ici que les transactions étaient conformes aux cadres des embargos français, européens, et onusiens, et que si elles avaient été en euros elles auraient été parfaitement licites. Seulement voilà : parce qu’elles étaient effectuées en dollars, elles devaient aussi répondre au cadre légal américain, plus strict sur certains pays comme l’Iran, Cuba et le Soudan ; et ce, quand bien même les opérations impliquaient exclusivement des acteurs non-américains sur des territoires non-américains. Une particularité législative des Etats-Unis qui s’apparente à une forme d’extra-territorialité juridique. Bien connue des banquiers, elle n’en restait pas moins difficilement applicable et donc rarement appliquée. La manière soudaine et brutale avec laquelle elle s’est concrétisée dans cette affaire a déclenché un vent de tempête dans le monde de la finance ; les concurrents de la BNP Paribas s’empressant de se mettre en conformité avec ces règles souvent négligées.
Moins inédit, mais pas moins impressionnant pour autant : les méthodes employées par la justice américaine. L’affaire BNP vient en effet s’ajouter à une récente série de faits d’armes des départements de justice new-yorkais contre la « délinquance en col blanc ». Depuis l’après-subprimes, la justice de New York a totalement changé de politique vis-à-vis de Wall Street. Bienveillante autrefois, elle a durci le ton jusqu’à devenir le cauchemar de la finance américaine. Ses nouvelles méthodes passent notamment par de dures négociations « à la carotte et au bâton ».Dans le cas présent si elle est parvenue à ce que BNP Paribas accepte d’aussi lourdes sanctions et à plaider coupable pour violation d’embargo (encore une première historique) c’est qu’elle n’a pas hésité à brandir la menace du retrait de la licence bancaire aux Etats-Unis – presque un ultimatum pour une banque dont 10% du chiffre d’affaires de la banque de détail provient de sa filiale US BancWest. Des méthodes similaires lui avaient permis d’obtenir du Crédit Suisse qu’il plaide coupable au pénal et s’acquitte de 2 milliards de dollars d’amende pour évasion fiscale. CitiGroup et JPMorgan, ont elles réussi à éviter le pénal, mais ont dû payer des sanctions s’élevant respectivement à 7 milliards et 13 milliards de dollars pour des affaires remontant à la crise des subprimes. Bank of America, la dernière en date, s’est vu condamner fin juillet à rembourser une amende de 1,3 milliards de dollars.
Comment expliquer une sanction si sévère de la part des Américains ?
Même les hypothèses les plus pessimistes avaient sous-estimé l’ampleur de la sanction. Celle-ci a surpris et choqué – à tel point que la politique française a vainement tenté s’en mêler, appelant la justice américaine à imposer une sanction “raisonnable” et “proportionnée”. Si on peut comprendre cet étonnement initial il convient de prendre du recul pour analyser les motifs de la lourdeur de la sanction et ses implications pour l’avenir.
D’abord, comme nous l’avons vu, si la sanction est inédite dans la jurisprudence des embargos, elle s’inscrit malgré tout dans un contexte international de durcissement de la justice vis-à-vis de la finance. En laissant Lehman Brothers faire faillite, les Etats-Unis avaient voulu mettre fin au « Too Big to Fail ». Les conséquences économiques désastreuses de la crise qui a suivi les a ensuite poussés à renoncer par pragmatisme à ce principe et à reprendre leur politique de sauvetage des mastodontes de l’économie. Adopter aujourd’hui une position très sévère vis-à-vis des fraudes de la planète financière permet à la justice américaine de montrer que la finance n’a obtenu qu’un sursis et qu’elle ne saura tolérer de nouveaux écarts. Punir les banques qui se sont rendues coupables de tromperie sur la qualité des contrats subprime a été hautement symbolique à cet égard. De même, la sanction contre la BNP Paribas, comme celle contre le Crédit Suisse, a pour principal objectif de passer un message : la finance ne sera plus amnistiée, et ce au niveau planétaire. La justice américaine fait ainsi pression sur ses homologues internationaux pour qu’à leur tour ceux-ci reprennent le contrôle sur le secteur financier.
Viennent s’ajouter à ce principe de base certains motifs moins vertueux. D’abord l’ambition politique des membres de la justice américaine qui sont nombreux à convoiter une place au panthéon des pourfendeurs de la finance – une place qui assure une popularité électorale certaine. Ensuite la nécessité pour les Etats-Unis de combler son déficit budgétaire abyssal. Plus largement encore, alors que le leadership économique des Etats-Unis s’érode au niveau mondial, capitaliser sur son leadership financier et surtout sur son hégémonie monétaire est clairement une manière de miser sur ses atouts pour éviter le déclin.
C’est en fait un coup de poker et c’est le Système-dollar que les Etats-Unis mettent le sur la table. En faisant de la BNP Paribas un exemple de son ambition renouvelée de plier le monde à une régularisation financière à l’américaine à travers l’hégémonie du dollar, les Etats-Unis jouent à quitte ou double. Ils peuvent y gagner l’assurance de la pérennité de leur leadership financier malgré l’émergence de géants économiques. Ils peuvent aussi y perdre leur hégémonie monétaire, acquise depuis Bretton Woods, si le monde décide que la dure réglementation des transactions en dollar en fait une monnaie moins intéressante que le yuan, l’euro… ou qui sait – le bitcoin.