Le site financier Vernimmen.net aura été l’un des premiers à l’annoncer dans sa lettre mensuelle de janvier, les entreprises du CAC 40 ont versé quelques 40,9 milliards de dividendes à leurs actionnaires en 2012 au titre de l’exercice 2011. Un montant en hausse de 5% par rapport à l’an dernier qui n’aura pas manqué de provoquer quelques froncements de sourcils: comment expliquer la générosité des sociétés françaises en ce contexte de crise économique et sociale où se côtoient annonces de plans de restructuration et polémiques sur les salaires des superpatrons ?
Du côté du classement des plus gros dividendes, les trois premières places du podium sont occupées par Total (5,25 milliards), Sanofi (4,31 milliards) et GDF Suez (3,75 milliards), suivis de près par France Telecom (3,72 milliards) et EDF (2,12 milliards). Comme le souligne la lettre Vernimmen, ces cinq sociétés représentent à elles seules presque la moitié des sommes distribuées par le CAC 40. Penchons nous de plus près sur le cas de ces cinq leaders de la place de Paris.
Avril 2011, la CGT de Total dénonce un plan social entrepris par la direction et qui devrait s’étaler jusqu’en 2017. Officiellement, le groupe pétrolier annonce avoir lancé « un appel à candidatures pour départs volontaires ». Jeu sur la sémantique ? Quoi qu’il en soit, cette initiative concerne cent postes environ par an, sur un total de 6000 employés appartenant à la branche raffinage et marketing. A l’automne, la direction annonce cette fois-ci une réorganisation majeure au niveau mondial sans pour autant préciser combien de ses 93 500 salariés français en seront inquiétés. Parallèment, le groupe enregistre un résultat net de plus de 12 milliards pour 2011 grâce aux cours élevés du baril de pétrole et ce, malgré l’interruption de certains sites durant les révolutions du Printemps arabe. Christophe de Margerie, à la tête de TOTAL depuis mai 2010, touche un salaire annuel constant de 3 millions d’euros.
Ils étaient encore 800 salariés de Sanofi à défiler dans les rues en novembre dernier, décidés à contester non pas un, mais deux plans de restructuration amorcés depuis voilà presque trois ans depuis l’arrivée de Christopher Viehbacher à la présidence du groupe. L’année 2011 s’est donc inscrite dans une période de climat social agitée, alors que le laboratoire mondial s’asseoit sur un confortable bénéfice de près de 9 milliards d’euros, s’assurant ainsi une bonne santé sur le marché boursier et un salaire au beau fixe pour son président dont le salaire de 3,6 millions d’euros en 2010, est passé à 3,5 millions en 2011. Christopher Viehbacher prend ainsi la quatrième position du classement des patrons français les mieux payés en 2011.
Eté 2010, 67 000 salariés de GDF Suez (soit un tiers de l’ensemble des salariés) ont pu acheté des actions au sein groupe en bénéficiant de tarifs avantageux. Un avantage accordé pour apaiser les tensions depuis la restructuration provoquée par la fusion de GDF et de Suez ? Ou dans la lignée de la politique sociale et engagée dont le groupe se vante ? Depuis ces deux dernières années, Gérard Mestrallet, dont le salaire a évolué de 3,3 millions d’euros à 3,1 millions en 2011, a annoncé que mis un part la mise en œuvre d’un programme d’économie, aucun plan de restructuration n’était à l’ordre du jour.
Du côté de France Télecom, l’atmosphère est tout autre. Le directeur général, Stéphane Richard, essaye de réparer l’image de la société dont la politique humaine est gravement remise en question après les suicides successifs d’une vingtaine de salariés en 2009. Le déclencheur : un plan social qui visait à réduire les effectifs (de 22 000 salariés) en deux ans, à coup de reorganisations incessantes et non-justifiées sur le plan économique, poussant les salariés à prendre la porte. Le résultat : un malaise social général et des salariés en grande souffrance comme en concluait une enquête accablante réalisée en 2010 par le cabinet Technologia à la demande de France Télecom. Les bénéfices du groupe ont chuté de plus de 20% en 2011, ce qu’on peut expliquer en grande partie de par l’arrivée du concurrent Free Mobile sur le marché. Stéphane Richard, a touché 1,5 million d’euros en 2011 en tant que directeur général de France Telecom contre 1,7 million en 2010.
Quant à EDF, le premier producteur et fournisseur d’électricité en France et dans le monde, rappelons-le, le groupe a triplé son bénéfice en 2011 grâce à sa production nucléaire (un retour à la normale après une chute spectaculaire de 70% de son bénéfice en 2010) malgré les débats politiques passionnées sur son avenir suite à l’accident nucléaire de Fukushima. Aucun plan social n’a été lancé par la société durant la crise. A noter qu’EDF se veut une « valeur sûre » sur le plan social en mettant en avant sa politique de développement durable au sein du groupe. Le PDG, Henri Proglio, a touché la même rémunération annuelle en 2011 et en 2012, à savoir 1,6 million d’euros.
Excepté pour France Télécom, les géants du CAC 40 semblent avoir dépassé la crise, économiquement parlant du moins. Peut-on justifier le montant des sommes accordées à leurs actionnaires ? A noter que les banques Société Générale et Crédit Agricole ont décidé de ne verser aucun dividende en 2012. Pour rappel, c’est lors d’une Assemblée Générale que chaque entreprise côtée en bourse décide de l’affectation de ses bénéfices, une partie revenant aux actionnaires et une autre étant laissée dans la société sur compte courant. Les sociétés du CAC 40 sont peut-être en bonne santé financière, mais la société subit elle encore les retombées de la crise économique. L’opinion publique voit d’un mauvais œil le versement de ces sommes astronomiques, voire « indécentes », durant une période où l’accent est mis sur l’effort commun pour redresser l’économie du pays. Difficile également pour elle d’accepter le salaire des PDG du CAC 40. Les grands patrons l’ont bien compris ; le 23 juillet 2011, quinze patrons français, dont Christophe de Margerie et Stéphane Richard, se sont réunis pour demander une augmentation de leurs impôts…