Depuis des décennies, le dollar américain occupe une place centrale dans l’économie mondiale. Monnaie de réserve dominante, devise de facturation des matières premières et principal instrument des transactions internationales, il est devenu l’outil incontournable du commerce et de la finance globale. Pourtant, ce règne sans partage est de plus en plus remis en question. De nombreux pays, notamment émergents, cherchent à réduire leur dépendance au billet vert. Ce mouvement, appelé « dé-dollarisation », prend de l’ampleur et pourrait, à long terme, rebattre les cartes de la géopolitique monétaire mondiale.
Le dollar représente encore aujourd’hui environ 58 % des réserves de change des banques centrales (contre plus de 70 % dans les années 2000), et reste la monnaie dominante dans 80 à 90 % des transactions sur le marché des changes. Toutefois, plusieurs tendances récentes témoignent d’un glissement progressif. Les sanctions économiques imposées par les États-Unis à divers pays (Russie, Iran, Venezuela) ont été un puissant déclencheur. En gelant leurs avoirs en dollars ou en les excluant du système de paiements SWIFT, Washington a mis en lumière le risque politique inhérent à l’utilisation du dollar. En réponse, certains pays ont décidé de diversifier leurs réserves et leurs partenaires commerciaux.
Une stratégie géopolitique autant qu’économique
La Russie, par exemple, a réduit la part du dollar dans ses réserves de plus de 40 % en quelques années, au profit de l’euro, du yuan chinois et de l’or. La Chine pousse également à une plus grande utilisation du yuan dans les échanges internationaux. Elle a notamment créé en 2018 un marché pétrolier coté en yuan à Shanghai, destiné à concurrencer le système de facturation en dollars. L’Inde, l’Iran, la Turquie ou encore les pays du BRICS étudient ou mettent en place des mécanismes de règlements bilatéraux en monnaies locales pour leurs échanges.
Cette volonté de diversification repose aussi sur des considérations économiques. La politique monétaire américaine, notamment la hausse des taux par la Fed, peut provoquer des effets secondaires négatifs pour les pays en développement, en renchérissant leur dette libellée en dollars ou en provoquant des sorties de capitaux. Avoir une partie des réserves dans d’autres devises ou dans l’or permet donc de mieux se protéger face aux chocs externes.
Une transition lente vers un système multipolaire
Cependant, la dé-dollarisation reste un processus long et complexe. Aucune autre monnaie ne présente aujourd’hui les atouts combinés du dollar : profondeur des marchés financiers, stabilité économique et politique, convertibilité totale. Le yuan, bien qu’en progression, est encore freiné par le contrôle des capitaux et l’opacité du système chinois. L’euro, quant à lui, pâtit d’un manque d’unité politique et d’une place géopolitique plus effacée.
Par ailleurs, les acteurs privés restent fortement attachés au dollar pour sa liquidité et sa prévisibilité. Même les pays qui critiquent l’hégémonie du dollar continuent souvent à en accumuler pour sécuriser leurs échanges et rassurer les investisseurs.
La dé-dollarisation est bien en marche, portée par des choix politiques, économiques et stratégiques. Mais il ne s’agit pas d’un effondrement du dollar, plutôt d’une transition vers un système monétaire international plus multipolaire. À long terme, cette diversification pourrait renforcer la stabilité du système mondial… à condition qu’elle s’accompagne de règles de confiance et de transparence entre les acteurs.
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