Dans notre société de marchés économiques en flux tendus, les mouvements de panique généralisés peuvent facilement transformer les pires scénarios en réalité. À moins de garder la tête froide pour éviter de mettre le feu aux poudres.
« Les gens ont peur », « la France va mal », « Il faut se préparer au pire »… ces phrases devenues monnaie courante dans les médias ou sur les réseaux sociaux ne contribuent pas uniquement à diffuser de vagues sentiments anxiogènes. Dans le monde de la finance, ce pessimisme récurrent engendre de plus en plus souvent ce que les économistes appellent un phénomène auto-réalisateur.
Un comportement provoqué par une information fausse qui la rend vraie
Maurice Obstfeld, un économiste américain, ancien conseiller d’Obama et directeur des études du Fonds monétaire international (FMI), s’est particulièrement penché sur le sujet. Celui-ci nous expliquait déjà dans les années 90 le fonctionnement d’une prophétie auto-réalisatrice dans la finance.
Concrètement, un phénomène auto-réalisateur se produit lorsque les agents économiques (par exemple les consommateurs, les traders…) adaptent leur comportement en fonction de l’anticipation qu’ils font d’un événement, souvent négatif (comme une inflation), et de ce fait provoquent le phénomène redouté. Par exemple, annoncer la hausse de prix d’une marchandise ou (pire encore) sa pénurie, provoque des achats de précaution massifs qui contribuent à augmenter le prix de la marchandise en question.
D’une certaine manière, il est possible de considérer que le système boursier tout entier repose sur ce simple biais cognitif. Quand une monnaie bénéficie de la confiance de suffisamment de spéculateurs, son cours augmente, même si elle n’était pas réellement sous-évaluée à l’origine.
À l’inverse, annoncer qu’une valeur est sous-évaluée peut tout à fait inciter les spéculateurs à l’acheter pour que la prévision soit invalidée. Dans ce cas-là, il s’agit au contraire d’une prophétie autodestructrice.
De plus en plus de phénomènes auto-réalisateurs ?
Autrefois, ces prophéties auto-réalisatrices semblaient bien moins fréquentes qu’aujourd’hui. Certes, les conséquences étaient tout aussi concrètes et désastreuses, mais elles étaient souvent considérées comme des exceptions ponctuelles.
Aujourd’hui, avec la multiplication des accès à l’information, sa vitesse de transmission et la prolifération des fake news, de nombreux économistes constatent que ces phénomènes auto-réalisateurs se font de plus en plus fréquents. On pense bien sûr aux pénuries de masques ou de produits de première nécessité durant les premiers temps de la pandémie du coronavirus. Des images de supermarchés pris d’assaut (largement relayées par les médias) n’avaient alors fait qu’encourager d’autres consommateurs à se ruer en magasin pour dévaliser les stocks de pâtes ou de papier toilette. Il y a 5 ans, les automobilistes français paniqués par l’éventualité d’une pénurie d’essence, fonçaient à la pompe et provoquaient des files d’attente de plusieurs heures. Et la pénurie devenait ainsi bien réelle.
En fait, il aurait suffi que la majorité des acheteurs continuent de se comporter normalement pour éviter ces pénuries.
La crise de la dette grecque de 2011 avait suivi un parcours similaire. Une majorité d’investisseurs pense que la Grèce va faire faillite ? L’État grec se retrouve contraint de payer toujours plus cher pour pouvoir emprunter à nouveau, accélérant de fait la faillite.
Idem pour le bank run du Royaume-Uni, en 2007. Alors en pleine crise des subprimes, la banque Northern Rock reçoit l’appui de la Banque d’Angleterre pour pouvoir tenir ses échéances. Certains que leur banque va faire faillite, les clients se jetaient en masse sur les guichets et les distributeurs pour retirer leurs économies. La Northern Rock faisait faillite dans les jours suivants…
« Restez calme et soyez vous-même »
Comme souvent face à un quelconque danger, le meilleur moyen d’éviter la réalisation de la prophétie est généralement de rester calme. De continuer à consommer, acheter ou vendre ses biens comme si la situation était normale pour éviter de dérégler le marché sous le coup de la panique.
Si Oedipe n’avait pas tenté de fuir le destin que lui avait prédit l’oracle de Delphes, il n’aurait jamais été acteur de sa propre chute.
Photos : letemps.ch –