Tout semble se dérouler sous les meilleurs auspices pour Bayer, qui voit tous les feux passer au vert pour valider le rachat du géant américain Monsanto. Depuis l’annonce officielle de son offre d’acquisition, aucune des principales autorités antitrust concernées ne s’est opposée aux volontés de la firme allemande. Contre la promesse de céder quelques activités nuisibles à la concurrence, Bayer a donc reçu le blanc-seing du Brésil, de la Chine, de l’Union européenne et, le 29 mai dernier, des Etats-Unis. Rien ne semble plus être en mesure de contrarier cette OPA de 53 milliards d’euros, qui donnera naissance au leader mondial de l’agrochimie.
Grandes manœuvres dans le secteur agricole
En acquérant le numéro 1 de la semence, Bayer, numéro 2 de la chimie, espère mener à bien de multiples ambitions. Et contrecarrer, au passage, celles de ses concurrents, qui ont eux aussi effectué des processus de rapprochement. 2015 a en cela été une année décisive pour le secteur de l’agrochimie, marquée par la fusion entre ChemChina et Syngenta, suivie quelques mois plus tard par l’alliance entre Dupont et Dow Chemical.
En perte de vitesse face à ses concurrents, le groupe de Leverkusen devrait grâce à cette acquisition donner naissance à un géant de 140.000 salariés contrôlant plus du quart du marché mondial des pesticides et des semences. Bayer va aussi pouvoir entrer en possession des multiples brevets déposés par Monsanto et s’implanter sur les territoires jusqu’à présent contrôlés par la firme américaine. Pour Werner Baumann, P-DG du groupe, cette fusion permettra aux agriculteurs de produire une alimentation abordable en grande quantité, à même de nourrir une population mondiale qui ne cesse de s’accroître. En ce sens, les deux firmes ne manquent pas d’arguments et leur unification devrait augurer de nombreux bouleversements dans l’agriculture.
Concentration des pouvoirs
Cette fusion sera certes riche de conséquences, mais seront-elles toutes bénéfiques, comme le laisse entendre W. Baumann ? En premier lieu, les deux entreprises ne jouissent pas à proprement parler d’une image de marque très positive, notamment auprès des écologistes. L’alliance entre le chimiste allemand, fabriquant du Gaucho surnommé « tueur d’abeilles », et la firme américaine célèbre pour ses graines génétiquement modifiées, son Roundup et son glyphosate, pourrait selon certains observateurs engendrer « la création d’un monstre ».
Les craintes concernant la biodiversité sont nombreuses, puisque les trois principaux groupes agrochimiques concentreront 65 % de la production mondiale de semences et de pesticides. Les ressources colossales dont disposent ces géants ne laisseront que peu de place aux semenciers alternatifs, qui proposent d’autres variétés de graines. Face à cette uniformisation prévisible, plus de 200 grands cuisiniers français ont publié une « lettre ouverte contre l’invasion de l’agrochimie dans nos assiettes ». Des organisations pointent quant à elles le cynisme de cette alliance, les deux entreprises proposant, selon eux, à la fois les pesticides pour empoisonner les cultures et les médicaments pour soigner les consommateurs et les agriculteurs qui auront été exposés à ces produits toxiques.
Bouleversements dans l’agriculture
Cette concentration des pouvoirs ne sera pas la seule à impacter les cultures. Bayer/Monsanto devrait très prochainement proposer des « packs » complets pour les agriculteurs, englobant les semences, les pesticides, les engrais ainsi que des équipements qui feront entrer l’agriculture dans l’univers du « Big Data ». En rachetant Monsanto, Bayer a acquis The Climate Corporation, une compagnie spécialisée dans la numérisation de l’agriculture. En utilisant ce logiciel, le cultivateur disposera d’un historique complet de ses opérations, d’images satellites de haute précision, de prévisions météos calculées au plus juste, d’une géolocalisation constante de ses machines, du niveau de nitrogène de ses plantes ainsi que de conseils en temps réel.
La révolution prédite par Werner Baumann semble donc toute proche, mais ces changements inquiètent les principaux syndicats agricoles. Les paysans tomberont-ils sous la coupe d’une seule et même entreprise, qui sera à même de pousser à son paroxysme un modèle déjà décrié ? L’agriculture a-t-elle au contraire amorcé sa mue vers l’ère de la rationalisation et du tout numérique, qui lui permettra de produire toujours plus et mieux ? La question soulève autant d’espoirs que d’inquiétudes.