La Danoise Margrethe Vestager a été nommée en novembre 2014 au poste de commissaire à la concurrence pour 5 ans, sur proposition de Jean-Claude Juncker. Depuis, celle que l’on surnomme la « Dame de fer » se montre intraitable. Entre le dossier des aides publiques accordées par l’État français à la SNCM, une enquête sur les pratiques abusives de Gazprom, la controverse qui a suivi les accusations d’abus de position dominante visant Google et son combat tenace contre l’évasion fiscale des multinationales installées en Europe, la commissaire de 47 ans est sur tous les fronts. Et ils seront nombreux jusqu’à la fin de son mandat.
Une incorruptible héroïne
Cette femme intransigeante, fille de pasteurs luthériens, mariée et mère de 3 filles, a inspiré l’héroïne de la célèbre série télévisée danoise Borgen[1]. A peine 6 mois après sa prise de fonctions, Margrethe Vestager accuse officiellement Google de se rendre responsable d’abus de position dominante. Et ce, alors que son prédécesseur, l’Espagnol Joaquin Almunia, avait cherché par 3 fois un compromis avec le géant américain. Cette attitude iconoclaste et sans concession lui a valu des échanges très tendus avec les autorités américaines. La commissaire européenne a également vivement critiqué le redressement fiscal de Google au Royaume-Uni, qu’elle juge dérisoire. Elle souhaite réévaluer cet accord conclu fin janvier pour déterminer si une enquête plus poussée est nécessaire.
Les premiers dossiers à sa charge
Dès le début de son mandat fin 2014, la nouvelle commissaire européenne à la concurrence s’attaque au long et délicat dossier des aides publiques indument accordées par l’Etat français à la SNCM[2]. Ensuite, en janvier 2015, la commissaire accuse le géant gazier russe Gazprom de ne pas respecter les règles du marché européen, en pratiquant des prix différents selon les clients, sans aucune justification[3]. Gazprom est également suspecté d’avoir introduit des clauses illégales, selon le droit européen, pour empêcher les pays clients de revendre le gaz non consommé, cela en pleine crise ukrainienne post Maidan.
Le « Luxleaks Gate », autre dossier brûlant
Première femme à devenir ministre dans son pays à seulement 29 ans, la Danoise fait partie des poids lourds de l’exécutif bruxellois. Présente sur tous les fronts, elle n’hésite pas à investir davantage de moyens dans la lutte contre l’évasion fiscale, son cheval de bataille, y compris à l’égard du pays d’origine de son propre patron à la Commission, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker. En novembre 2014, lorsque le scandale « Luxleaks » éclate au grand jour, mettant en lumière des anomalies fiscales au Grand-Duché, à l’époque où Juncker était à la fois Premier ministre et ministre des Finances, Margrethe Vestager annonce des mesures de contrôle plus poussées et l’accélération des enquêtes déjà en cours sur les pratiques d’évasion fiscale dans plusieurs États membres, dont la France.
Mettre fin à l’opacité fiscale
Sous l’impulsion de Margrethe Vestager, la Commission veut empêcher le recours abusif aux dispositifs « défiscalisant », notamment les prêts intragroupes et les déductions d’intérêts. Beaucoup de multinationales exploitent les divergences entre législations nationales et la complexité de la comptabilité européenne pour être taxées le moins possible.
Cette chasse aux mauvais payeurs s’inscrit dans un plan global de lutte contre l’opacité fiscale lancé par la Commission européenne[4]. Les questions fiscales requièrent l’unanimité de tous les Etats membres, ce qui rend toujours plus compliqué l’approbation de nouvelles mesures. Notamment celles pour la mise en œuvre d’un plan prévoyant l’échange automatique d’informations sur la politique fiscale menée entre Etats et multinationales au sein de cette Europe des 28.
« Only in Belgium »
Le 11 janvier dernier, c’est la Belgique qui a du faire face à la détermination de la Commissaire, qui juge l’optimisation fiscale des grandes entreprises sur son territoire démesurée. Margrethe Vestager somme la Belgique de mettre fin à une pratique illégale qui visant à accorder des passe-droits fiscaux à 35 multinationales installées sur son sol et leur réclame de payer le manque à gagner estimé à 700 millions d’euros ! « Parmi ces groupes multinationaux, la plupart sont européens », précise-t-elle. Une manière de signifier aux Etats-Unis que son action n’est pas motivée par un sentiment chauviniste ou protectionniste, mais guidée par le principe de concurrence loyale sur le vieux continent. Elle ajoute, imperturbable, que « dans certaines situations, il est important d’aller à l’affrontement s’il le faut ».
Ikea dans le viseur
Les eurodéputés verts ont remis à la commissaire un rapport établissant comment Ikea a réalisé, au détriment de divers États européens, plus d’un milliard d’euros d’économies d’impôts ces 6 dernières années[5]. Ce rapport cinglant pointe surtout un procédé spécifique du groupe suédois : chaque magasin de la chaîne procède au paiement de « royalties » non taxées à une filiale établie aux Pays-Bas, qui les retourne en grande partie au Liechtenstein, non soumis au statut fiscal européen. Dans un courrier à l’AFP, Ikea a réaffirmé payer ses impôts conformément aux législations nationales et internationales, mais la « Dame de fer » compte faire toute la lumière sur ce nouveau dossier chaud lié aux agissements opaques d’une puissante multinationale.
[1] ‘Borgen, une femme au pouvoir’ est une série télévisée danoise diffusée entre 2010 et 2013 sur DR1 mettant en scène l’exercice du pouvoir sur fond d’intrigues politiciennes.
[2] Société Corse qui effectue la navette entre l’île de beauté et le continent, et qui engendrerait une distorsion de la concurrence avec d’autres opérateurs
[3] Les pays proches de Moscou bénéficieraient de contrats avantageux, tandis que les Etats les plus critiques en paieraient le prix fort. Ces pratiques concernent 8 États membres : Bulgarie, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne et Slovaquie.
[4] Selon la commissaire, les Pays-Bas, qui assurent au premier semestre la présidence de l’UE, partagent sa volonté d’avancer vite .
[5] Rien que pour l’année 2014», le rapport d’enquête évalue «les pertes fiscales à 35 millions d’euros pour l’Allemagne, 24 millions d’euros pour la France, et 7,5 millions d’euros pour la Belgique.