Suite aux conclusions d’un rapport reçu le 31 mars dernier, le Premier ministre islandais envisage de reprendre le pouvoir de création de la monnaie aux banques commerciales du pays. Si ce plan est approuvé par le parlement, ce sera un virage historique de la finance moderne.
Depuis 1875, l’Islande a connu une vingtaine de crises financières dont six graves, qui se sont produites tous les 15 ans. Pour en tirer les leçons, le Premier ministre, Sigmundur David Gunnlaugsson, a commandé un rapport intitulé « Un meilleur système monétaire pour l’Islande ». Son auteur, Frosti Sigurjonsson, est un parlementaire du Parti du progrès (centriste, au pouvoir) et un économiste, qui avait déjà trouvé un moyen d’alléger la dette immobilière des ménages afin de rétablir la situation pour un grand nombre des 340 000 Islandais victimes de la dernière lourde crise financière.
D’après ses observations, ces crises financières graves surviennent à chaque fois à partir d’une bulle de crédit pendant un cycle économique fort. Il en conclut que les banques centrales n’ont pas le pouvoir de restreindre l’emballement du crédit, ce qui fait grimper l’inflation, favorise la spéculation et fragilise en même temps les banques commerciales, menant à des interventions coûteuses de l’État.
Dans son rapport, Sigurjonsson préconise donc de réduire le rôle des banques commerciales à celui d’intermédiaire entre créanciers et créditeurs et de donner un pouvoir exclusif de création de la monnaie à la seule banque centrale islandaise.
Vers une révolution ?
Les banques commerciales du monde entier sont aujourd’hui rivées sur cette « expérimentation » que l’Islande s’apprête à réaliser. En effet, reprendre le pouvoir de création de la monnaie aux banques s’apparente à balayer la conception moderne de la finance.
À l’heure actuelle, 91% de l’argent qui circule en Islande provient des crédits octroyés par les banques commerciales à leurs clients. Comme dans toutes les économies de marché modernes, la Banque centrale contrôle seulement la création de monnaie en pièces et billets et non celle qui intervient dès qu’une banque commerciale accorde un crédit. Seules les banques commerciales ont ce pouvoir. C’est grâce à ce processus que le stock de monnaie en circulation croît en fonction des besoins de monnaie du système économique. Résultat : plus il y a d’argent, plus les prix sont hauts.
Si le plan islandais est approuvé, la Banque centrale pourrait alors déterminer le rythme de la création monétaire en fonction des besoins perçus de l’économie afin de séparer le pouvoir de création de la monnaie de son utilisation. Cela priverait les banques commerciales de leur plus grand pouvoir : créer de l’argent… et donc de la dette.
L’Islande : petit pays aux grandes idées
La crise financière islandaise la plus récente est survenue en 2008 suite à la politique d’endettement pratiquée par le pays et le gonflement des bilans financiers de ses banques principales. Avant que la crise ne se fasse sentir, les trois principales banques du pays représentaient plus de dix fois le PIB islandais. Elles ont dû être nationalisées afin de prévenir l’effondrement du système bancaire national. Durant cette période de crise, L’Islande s’est illustrée comme le seul pays européen à refuser par référendum le sauvetage des banques privées, laissant s’effondrer certaines d’entre elles et jugeant de nombreux banquiers pour leurs crimes financiers.
Devant ces décisions radicales, la crise financière a eu comme conséquence de provoquer un bouleversement direct du paysage politique, laissant la gauche devenir majoritaire à l’Assemblée et de multiples partis émerger. Avec cela, de nouvelles idées sont également nées afin d’éviter une répétition de cette funeste situation financière.
Dès 2009, les Islandais ont souhaité se munir d’une loi favorable à la publication de travaux de journalisme d’investigation pour favoriser la transparence chez ses dirigeants. C’est en effet quelques mois après la crise, en juillet 2009, que l’organisation Wikileaks publie son premier grand scoop révélant la teneur des négociations entre les gouvernements islandais, britannique et néerlandais à propos des remboursements qui devaient être effectués suite à la faillite d’une filiale d’une des principales banques du pays. Selon les documents publiés, certains des dirigeants de cette banque avaient effacé des lignes de prêts et de dettes à leur profit avant la faillite ; les gouvernements étrangers impliqués demandaient des comptes.
Alors que les médias s’emparent de l’information, la première chaîne du pays décide de consacrer une émission spéciale à ces révélations. Mais quelques minutes avant la diffusion, cette dernière reçoit une injonction du tribunal qui leur interdit de réaliser l’émission au nom du secret bancaire. Dans ce contexte, l’Islande s’est exprimée en faveur d’une loi qui permet au pays de devenir un « paradis journalistique » qui crée le cadre le plus propice au journalisme d’investigation.
Réécrire la Constitution datant de 1944
Une autre grande Première pour le pays a eu lieu en 2010, quand une nouvelle Assemblée constituante a été élue pour réécrire la Constitution datant de 1944. Une nouvelle idée originale dans le processus était que tous les citoyens de dix-huit ans révolus, soutenus par trente personnes au moins pouvaient être candidat à l’exclusion des parlementaires. En 2012, les Islandais ont approuvé le projet d’une nouvelle Constitution. Ils ont été près de la moitié à s’exprimer dans les suffrages et ont pu utiliser les médias sociaux pour faire part de leur opinion sur le contenu de la future Constitution, qui reste encore à finaliser.
La décision du pays d’aller vers une Constitution citoyenne et de tenter de rétablir l’esprit de la démocratie semble aujourd’hui s’étendre à l’économie pour permettre un plus grand contrôle des citoyens sur la stabilité de leur monnaie.