Lors d’un déplacement professionnel à Genève, j’ai eu l’occasion de croiser la route de Stefan Chaligné, un grand spécialiste de l’investissement en valeurs cotées. S’il est aujourd’hui à la retraite, Stefan Chaligné a un parcours impressionnant puisqu’il a été le plus jeune associé de la Banque William Blair & Company à Chicago avant de monter le fonds d’investissement Athos. Il a accepté de répondre à quelques questions pour apporter un éclairage critique sur l’état de la finance et donner quelques recommandations aux investisseurs en herbe.
LBF : Stefan Chaligné, présentez-nous votre parcours
Stefan Chaligné : J’ai consacré l’ensemble de ma carrière aux métiers de la finance et de l’investissement. J’ai d’abord travaillé dans des banques : Merrill Lynch en début de carrière puis de nombreuses années chez William Blair & Company à Chicago. Je m’y suis spécialisé dans le conseil en investissement en actions cotées, plus particulièrement auprès de grande institutions financières. J’ai ensuite créé un fond d’investissement, Athos. Bien que n’exerçant plus d’activité professionnelle depuis plus de 10 ans, je continue à suivre l’évolution des marchés financiers de très près.
LBF : L’image de la finance est aujourd’hui régulièrement écornée, pouvez vous nous dire en quoi elle est indispensable à l’économie ?
Stefan Chaligné : La finance présente aujourd’hui deux dimensions contradictoires : une dimension totalement négative, qui fait les délices des médias grand public, où règne la spéculation et l’obsession de profits rapides ; la finance est alors instrumentalisée au profit de quelques uns sans offrir aucune contribution au monde de l’économie. L’autre dimension est vertueuse, elle est, à travers l’accès aux marchés des capitaux et donc au financement, un relais indispensable, une courroie de transmission entre l’épargne et le monde de l’entreprise.
LBF : Stefan Chaligné, vous avez travaillé aux États-Unis dans une grande banque d’investissements. En quoi les approche de la finance en Europe et aux Etats-Unis sont-elles différentes ?
Stefan Chaligné : La finance américaine est le plus grand terrain d’expérimentation de la créativité financière. C’est là où sont créés et lancés tous les nouveaux produits financiers et modes de financement. On y trouvera donc indistinctement des produits qui n’enrichissent que leurs auteurs et ceux qui les distribuent mais aussi des véhicules d’investissement qui adressent un vrai besoin pour le financement des entreprises et/ou l’épargne institutionnelle ou privée. Comme dans d’autres domaines, la vieille Europe est moins friande de nouveautés et les temps d’adoption sont plus longs, ce qui parfois est une vertu salutaire ; le marché des “subprime” a mis à genoux les marchés immobiliers dans les pays anglo-saxons et plus particulièrement aux Etats-Unis. Le marché immobilier français ou allemand n’a pas, fort heureusement, adopté ces produits toxiques.
LBF : Quels sont aujourd’hui les secteurs dans lesquels vous pensez qu’il est intéressant d’investir ?
Stefan Chaligné : J’aurais toujours tendance à privilégier les secteurs sous valorisés plutôt que de courir derrière les mouvements de hausse en espérant qu’ils se prolongent. Il y a effectivement deux camps dans le monde de l’investissement : d’une part, celui des “value players” qui basent leurs décisions sur les ratios de valorisation des sociétés ; d’autre part, celui des “momentum players” qui jouent l’extension de la tendance, à la hausse ou à la baisse, en procédant à l’étude des graphiques de l’évolution des cours de bourse, des flux d’investissements et du comportement des investisseurs (le “financial behaviour”). Les secteurs des ressources naturelles, pétrole et matières premières, sont aujourd’hui sur des valorisations historiques basses et par ailleurs sous pondérées dans les portefeuilles. Ils me semblent donc susceptibles de profiter d’un rattrapage sur les mois à venir.
LBF : Vous qui avez eu affaire à la FSA, pensez-vous que les autorités de régulation financières en Europe soient efficientes ?
Stefan Chaligné : Les autorités de régulation procèdent en fonction de textes qui sont souvent dépassés par la sophistication des produits financiers utilisés. Ainsi les opérations de “short” (vente à découvert) et de produits dérivés échappent largement à la scrutation du régulateur et viennent fausser son jugement dans le cadre d’opérations litigieuses. Seuls des professionnels aguerris aux dernières techniques de gestion peuvent prendre la mesure de situations techniques complexes. C’est en grande partie pour cela que la fraude Madoff a perduré si longtemps.
Merci à Stefan Chaligné d’avoir répondu à mes questions. N’hésitez pas à commenter pour réagir à ses propos.