Je tenais à vous faire partager cette interview d’Enrico Braggiotti particulièrement intéressante.
Entretien de Monsieur Enrico Braggiotti accordé au quotidien « Il Sole 24 Ore ». Parution le 14 avril 2009.
Vous avez été le chef des activités internationales puis administrateur délégué et président de la COMIT*, c’est-à-dire de la seule banque italienne qui était active au niveau le plus élevé dans le « Corporate Investment Banking International », quand la globalisation financière a commencé. Quelle était la vision que vous aviez alors, de la transformation à long terme de ces activités qui ont finalement débouché sur l’écroulement des marchés ?
Enrico Braggiotti: Je dois, avant tout, vous dire, que je ne suis pas économiste mais employé de banque. J’ai été formé, pendant près de 50 ans, à l’ « école » de la COMIT, qui était une « école » de « merchant ». L’activité classique consistait à faire du crédit aux entreprises dans le but de leur permettre d’acheter des matières premières, de les assister durant la période de transformation en produits finis et finalement d’escompter leurs titres de crédits émis sur leur clientèle. A l’époque, la finance était étroitement liée à l’économie réelle.
Nous avons donc vécu dans l’économie réelle, tandis que la finance s’est par la suite détériorée, jusqu’à arriver aux excès qui se sont vérifiés et qui ont malheureusement débouché sur la « bulle immobilière », laquelle a pollué tout le système, créant la situation actuelle.
Evidemment, pour revenir à votre question, la vision que nous avions alors du système international, à l’époque où j’étais un dirigeant de la COMIT, était toujours liée à une levée de fonds sur les marchés internationaux (New York, Londres, Tokyo, etc.) pour les prêter, ensuite, aux toutes premières entreprises locales.
Nous prenions un certain risque car les fonds provenaient du marché interbancaire et les prêts aux entreprises se faisaient sur du plus long terme. Il s’agissait d’un risque somme toute limité, car il était lié aux fluctuations des taux d’intérêts qui pouvaient éventuellement entraîner des pertes dans le cadre du « mismatch ».
Personne à l’époque, ne pouvait imaginer les folies spéculatives qui sont apparues successivement, malgré toute une série de contrôles qui ont démontré leur inutilité, car il s’agissait avant tout d’un système de règles valables pour un pays, facilement contournable dans un monde global, surtout au niveau des états qualifiés de « paradis fiscaux ».
Quand au début des années 2000, la finance s’est détachée de l’économie réelle, et s’est lancée dans la folie spéculative, quand les banques d’affaires se sont éloignées de leur métier de base, à savoir celui de procurer des capitaux aux entreprises pour assurer leur développement et qu’elles se sont transformées en « Hedge Funds », quand les compagnies d’assurances ont suivi la même direction et que les banques de crédits ordinaires, dans une mesure beaucoup plus limitée, il est vrai, ont été séduites par la réalisation de profits faciles, la « bulle financière » a éclaté. Le désastre financier a débordé naturellement sur l’économie réelle à l’échelle planétaire, mettant en péril les pays les plus faibles, le résultat le plus dramatique étant le chômage. L’Organisation Mondiale du Travail prévoit 50 millions de chômeurs dans le monde. Les pays les plus pauvres
sont les plus touchés, d’autant qu’ils ne disposent pas d’amortisseurs sociaux, comme c’est le cas dans les états européens.
Quand et pourquoi, à votre avis, l’expansion des marchés et l’affirmation de leur primauté a brisé les conditions du « supportable » ? Ce modèle – comme le soutiennent de nombreuses personnes avisées – reste-t-il valable et va-t-il être préservé ?
Enrico Braggiotti: La situation actuelle est née aux Etats-Unis où, depuis de nombreuses années, la politique de la Reserve Bank a été celle de financer la consommation à des taux d‘intérêts très bas. Il est vrai que la locomotive de l’économie mondiale a été le niveau très élevé de la consommation américaine, consommation qui a subi un extraordinaire développement, grâce à la possibilité donnée aux ménages de contracter des prêts à faibles taux et à la volonté des banques d’encourager, sans limite, les ménages à s’endetter. A la lumière des événements que nous venons de vivre, ce modèle n’est plus valable et disparaîtra.
A la question de la crise bancaire – qui tourne autour de la gestion de 2.200 milliards de dollars de titres dits « toxiques » – comme peut-elle être résolue ? Et à quelles conditions la création de la « bad bank » est-elle réalisable ?
Enrico Braggiotti: On affirme que les 2.200 milliards de dollars de « toxic assets » pourraient être financés et concentrés dans une « bad bank », franchement j’émets une réserve quant à la justesse du montant, je crois qu’il faut revoir malheureusement ce chiffre à la hausse, car aux fameux « toxic assets » liés aux « subprimes », s’ajoutent l’ensemble des prêts et autres crédits accordés par les banques à de nombreuses entreprises en difficulté, comme celle du secteur automobile.
Cette « bad bank » qui recevra des milliards de dollars de titres « toxiques », personne n’a compris comment elle fonctionnera. Comment définir ces titres « toxiques » ? À quel prix seront-ils rachetés ? Quand les banques auront perdu ainsi tout leur capital et donc seront en dehors des ratios de solvabilité imposé, que se passera t-il ?
Franchement il me semble difficile de croire que la « bad bank » soit la réponse à la crise actuelle. En tout état de cause, attendons des explications plus précises.
Les interventions des Etats effectuées dans l’urgence, à l’intérieur de chaque pays dans le capital des Banques étaient-elles inévitables ? La crise de confiance qui pèse aussi bien sur les marchés que sur les crédits de l’entreprise, que sur le cycle de l’économie réelle, concrètement semble difficile à appréhender et sans solution, quel est votre conseil ?
Enrico Braggiotti: Oui, les aides d’Etats apportées aux banques étaient inévitables et indispensables, elles sont probablement insuffisantes pour redonner la confiance attendue. Je pense même qu’une période de nationalisation soit inévitable pour que le marché intérieur se remette à fonctionner.
Vous étiez à la tête de la COMIT lorsque les risques étaient gérés principalement par des grands intermédiaires, qui garantissaient directement l’épargne des ménages et accordaient des crédits aux entreprises grandes et petites. Par la suite, la « sécurisation » de la finance au niveau des Bourses, la dérégulation et la globalisation ont augmenté structurellement le risque dans les marchés, et le système au final n’a pas résisté. Maintenant, on nous parle du retour à des contrôles et régulations lourdes, confiés à des systèmes de vigilance renforcée. À votre avis, le système financier retournera-t-il vers un système de banques centrales et la banque commerciale (en particulier celle «à l’européenne») redeviendra-t-elle l’élément central dans les circuits financiers ?
Enrico Braggiotti: Avec le système de la « sécurisation », sur lequel se sont greffées des opérations financières dérivées et autres formules mathématiques, le système financier s’est complètement modifié, apportant certainement des profits aux intermédiaires financiers et aux banques, grâce à cette finance fictive. Je pense que dans le monde qui naîtra de cette « révolution », la banque commerciale -celle de ma jeunesse- redeviendra un acteur dominant. Mais, attention, ce nouveau monde sera différent et le modèle de consommation basé sur l’endettement, à l’image du modèle américain, ne sera plus d’actualité, or, aujourd’hui personne ne peut encore définir ce que sera ce monde futur. Il revient aux hommes politiques de l’imaginer, aux hommes politiques de 40 ans qui auront à vivre dans ce nouveau monde et non à ceux de 70 ans qui ne le connaîtront pas.
Wall Street a été l’épicentre de l’effondrement et de la faillite de Lehman Brothers en a été l’événement symbolique. Vous avez vous-même travaillé à New York comme banquier européen et vous avez essayé, en des temps de pionniers, d’acquérir une banque locale pour jouer un premier rôle sur ce marché. Selon vous, la longue polarisation de la finance autour des plates-formes de la City et de Wall Street survivra-t-elle à cette grande crise?
Enrico Braggiotti: La COMIT a été protagoniste de l’internationalisation du système bancaire italien dans les années 80. Je dois préciser que cette internationalisation était dans les gênes des dirigeants du COMIT et la présence de cette dernière, sur les plus grands marchés des capitaux semblait indispensable pour se lancer sur les marchés mondiaux. Je dois ajouter, que cette internationalisation n’est pas de mon seul mérite, elle avait été depuis longtemps préparée par le Président Raffaele Mattioli, Carlo Bombieri et Antonio Monti. Mon travail a été considérablement facilité, en outre, par la qualité de collaborateurs bien formés et très efficaces.
La première étape a été d’acquérir une participation dans Lehman Brothers, alors en difficulté non pas pour des problèmes de rentabilité mais par manque de stratégie. George W. Ball, sous-secrétaire d’état de 1961 à 1966, grand homme politique et de culture, s’était donné comme objectif de relancer Lehman Brothers avec Peter G. Peterson, CEO de Lehman Brothers.
George Ball était un ami personnel dans lequel j’avais une grande confiance et j’ai donc pu convaincre aisément les dirigeants de la COMIT de prendre une participation dans le capital de Lehman. Notre présence dans la Lehman et dans leur Conseil d’Administration nous a apporté, avant tout, un grand prestige et la possibilité de disposer d’un important réseau de relations uniques parmi les banques italiennes et européennes. Ensuite, nous avons acquis le contrôle de la Long Island Bank et en 1988, avec l’aide de nos amis George Ball et Randolph Guthrie (grand avocat et Antony Salomon Président de la Fédéral Reserve de New York) nous avons tenté d’acquérir Irving Trust (à l’époque, la huitième plus importante banque américaine).
La COMIT jouissait alors d’un grand prestige et de dirigeants capables de gérer une opération de cette envergure (je me réfère, en particulier à Lino Benassi, lequel nous a représentés très brillamment dans cette opération). L’opération a finalement échoué pour une raison très simple : passés tous les obstacles à New York, la Fédéral Reserve à Washington a soulevé le problème de notre appartenance à l’IRI. Naturellement, toute l’opération avait été réalisée avec l’accord de l’IRI* (Romano Prodi en était alors Président), de la Banque d’Italie (Carlo Azeglio Ciampi en était le gouverneur) et du Ministère du Trésor (dont Andreotti avait en charge le portefeuille).
Cette opération avait cependant suscité des oppositions dans le Parti Socialiste Italien qui craignait que l’acquisition d’Irving Trust entraînerait une augmentation de capital de la COMIT, à laquelle l’IRI n’avait pas les moyens de souscrire. Ceci dit, je suis convaincu que les Etats Unis et Wall Street resteront toujours déterminants dans l’évolution du système financier mondial, même après cette crise.
Est-il juste donner en Europe la surveillance à la BCE?
Enrico Braggiotti: Il n’est pas très important que la finance soit confiée aux banques centrales ou à la BCE. Le problème est que face à la globalisation dans laquelle nous vivons, la vigilance et les règles doivent être globales, non pas limitées à un pays ou à un groupe de pays.
En Italie, le processus de concentration bancaire s’est développé rapidement et jusqu’à présent le système national est apparu relativement solide : quelle est votre opinion?
Enrico Braggiotti: Je partage l’affirmation que le système bancaire national soit solide. Je pense même que la forte propension des italiens à l’épargne donne effectivement une plus grande solidité au système, lequel, par ailleurs, n’a pas été pollué par des « toxic assets », par du « Maddoff » ou autres spéculateurs plus ou moins bien intentionnés.
Vous avez suivi l’évolution de cette crise à partir d’un observatoire bien particulier : la Principauté de Monaco, carrefour historique d’importants flux de capitaux internationaux et de grandes richesses privées. La Principauté de Monaco est une plate-forme de référence en matière de « Wealth Management », quelle est votre impression du niveau de contrôle assuré durant les 18 derniers mois, notamment concernant la capacité des grands investisseurs de surveiller correctement le risque, autrement dit le professionnalisme du private banking ?
Enrico Braggiotti: En ce qui concerne la Principauté de Monaco, dont vous surestimez beaucoup l’importance des flux de capitaux internationaux et également la capacité d’une grande partie de son « Wealth Management » (il s’agit d’une opinion très répandue dans les media mais la réalité est différente), il ne s’agit pas d’un paradis fiscal. La preuve en est, qu’aucun des célèbres Hedge Funds (qui sont à l’origine de la spéculation qui a conduit le monde à la crise dans laquelle nous nous trouvons), n’est basé à Monaco. Quant au blanchiment d’argent, les lois monégasques sont plus sévères que celles en vigueur dans la plupart des pays de l’UE. En outre, les tribunaux monégasques donnent des suites favorables à toutes demandes d’enquêtes dans ce domaine.
Le système bancaire monégasque totalise environ un montant de 60/70 milliards d’euros, une somme relativement modeste, en comparaison avec celle « gérée» par Maddoff. Les monégasques ne payent pas d’impôt sur le revenu, mais les sociétés payent un impôt sur les bénéfices, au même niveau qu’en France. Le budget de l’État est composé des ressources provenant de la TVA, du tourisme et non pas uniquement, comme on le pense trop souvent, des casinos. En effet, la SBM verse à l’Etat des dividendes, provenant des profits des casinos, hôtels, etc. mais qui ne dépassent pas 5% du total des revenus de l’Etat.
Pour revenir au problème fiscal, Monaco est sur la liste noire de l’OCDE, mais je pense qu’elle en sortira rapidement en faisant des concessions sur le secret bancaire comme l’a fait la Suisse. Les deux états bénéficiant, à Monaco, de la transparence fiscale sont la France et les Etats Unis. L’Allemagne et les autres pays de l’UE voudraient obtenir ce même droit. Si la Suisse cède aux pressions de la communauté internationale, Monaco suivra.
On peut penser que les conséquences qui en résulteront seront une diminution des dépôts bancaires d’environ un montant de 20 milliards d’euros et dans le secteur de l’immobilier, les prix du m² avoisineront ceux des autres villes de la Côte d’Azur.
Mais je pense surtout que d’autres flux financiers pourraient prendre le chemin de la Principauté si son système bancaire était en mesure d’élever le niveau technique de ses dirigeants, à la hauteur de celui des autres grandes places bancaires.
Monaco bénéfice d’une grande stabilité politique, fruit d’une monarchie plusieurs fois centenaires et solide. SAS le Prince Albert II a donné à son pays un nouveau prestige international que n’avait encore pu donner Son père, en se consacrant notamment à la défense de l’environnement et à la promotion des énergies renouvelables. Son gouvernement est dirigé par un Ministre d’État, Jean- Paul Proust qui gère le pays avec autorité, habileté et diplomatie.
Monaco sera toujours une résidence privilégiée indépendamment de son activité financière; aucun autre pays au monde ne présente les avantages que Monaco offre à ses résidents : climat, faible niveau de pollution, sécurité, hôpitaux de haut niveau, sport, mer, montagne, culture, etc.
Mon grand-père paternel ne s’était pas trompé quand au début du siècle dernier, accompagné de ma grand-mère originaire de Saint-Tropez, ils ont décidé de s’installer à Monaco. Depuis lors, tous mes parents sont venus finir leurs jours à Monaco (j’ai dû agrandir le caveau familial pour m’y réserver un petit espace ainsi qu’à ma femme).
Comment jugez-vous l’offensive en cours contre les « paradis fiscaux » ? Doit-on les abolir ?
Enrico Braggiotti: Il est clair qu’en ces temps de marasme pour les recettes fiscales des Etats et face aux importants déficits budgétaires auxquels ils sont confrontés, l’évasion fiscale n’est pas tolérable et il est bien compréhensible de vouloir la combattre.
Les derniers développements montrent que la grande majorité des pays concernés (Suisse, Luxembourg, Principauté d’Andorre, Principauté de Monaco, Singapour…) acceptent les règles imposées par l’OCDE afin de ne plus figurer parmi les pays sur « liste noire ». La pression des Etats contre les pays accueillant l’évasion fiscale étant de plus en plus forte, il serait à mon avis, opportun de faire, ce qu’avait fait en son temps le Ministre Guilio Tremonti, c’est à dire une amnistie. Elle devrait avoir un certain succès. Les personnes disposant, à l’étranger de fonds non déclarés, n’ont pas d’autres choix que celui d’accepter de rapatrier ces fonds vers leur pays d’origine, en payant une pénalité dont le niveau doit être décidé par l’autorité politique.
Quelle différence y a-t-il entre les banquiers actuels et ceux de votre génération ?
Enrico Braggiotti: J’ai cessé mon activité depuis plusieurs années maintenant, pour pouvoir porter un jugement sur les dirigeants actuels des banques.
La politique bancaire peut-elle être dangereuse ?
Enrico Braggiotti: Je tiens à préciser que je suis un libéral et que j’ai toujours soutenu que l’économie de marché est le meilleur système économique même si elle présente des défauts. Elle est à l’économie, ce que Churchill disait de la démocratie: « C’est un très mauvais système mais franchement je n’en connais pas de meilleur ». Mais le problème aujourd’hui est autre, nous ne sommes pas dans une crise économique classique. Nous sommes à la fin d’un monde qui, bien qu’ayant apporté de grands progrès à l’humanité arrive à sa fin. La fin des Empires a toujours été marquée par des tragédies. J’espère que les hommes politiques sauront inventer un nouveau monde en évitant les guerres et les révolutions du passé. Avant de penser à la reconstruction d’un nouveau monde, il faut penser à éviter le pire.
1/Pour commencer par le secteur financier, il faut faire un grand nettoyage dans le bilan des banques. Celles qui n’y résisteront pas et ne pourront pas atteindre le ratio de solvabilité imposé, devront être nationalisées. Encore faut-il que l’Etat qui les nationalise, soit lui-même solvable, ce qui n’est pas toujours le cas. Alors, le FMI devra intervenir, à condition bien entendu, qu’on lui en donne les moyens. C’est à ce prix que la circulation des capitaux pourra retrouver sa fluidité et l’interbancaire recommencer à fonctionner normalement.
2/Il faut fermer le « grand casino » comme le recommande la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement). La spéculation des banques d’affaires et des Hedges Funds continue malgré la crise et aggrave davantage la situation des pays les plus faibles. Les Pays de l’Est en sont actuellement victimes et se retournent vers l’Union Européenne et le FMI pour demander une aide, laquelle finit toujours par profiter aux spéculateurs.
3/Il faut définitivement, comme on l’a déjà dit, supprimer les paradis fiscaux dans le monde. Ils sont pour la plupart le siège des Hedges Funds et des fonds d’investissement en général.
Ces trois mesures urgentes ne résoudront certainement pas les problèmes mais éviteront le pire.
Le problème auquel nous sommes confrontés est que la globalisation de l’économie s’est développée très rapidement (apportant de très importants bénéfices à des pays en développement comme la Chine, l’Inde ou les Pays d’Europe de l’Est) alors que les règles du jeu sont restées, elles, nationales et donc inefficaces.
Par conséquent, soit les dirigeants politiques réussissent à imposer des règles globales à une économie globale soit, et c’est actuellement le cas, on retourne vers un protectionnisme plus ou moins caché comme aux Etats-Unis ou en France. Un gouvernement mondial peut sembler une utopie d’autant plus qu’à une échelle réduite comme l’UE, il n’a pas encore été possible d’avoir un gouvernement unique pour l’ensemble des pays qui la compose. Chaque Etat membres a encore sa propre politique en matière fiscale, sociale, militaire ou en matière de politique étrangère et l’opinion publique est encore très réticente à abandonner une partie de sa souveraineté, même dans les pays les plus europhiles.
Pour revenir à la question posée, j’ai vécu à la COMIT avec un actionnaire majoritaire qu’était l’I.R.I alors présidé par Romano Prodi. Et je dois dire que grâce à lui, j’ai pu éviter sans trop de difficultés les pressions politiques. A son départ, il m’a été vivement reproché de ne pas écouter, avec une attention suffisante, les suggestions des partis alors au gouvernement. Peu de temps après le départ de Prodi je quittais à mon tour la COMIT.
Une anecdote : en 1968, le président du Crédit Lyonnais M. Viriat est venu faire ses adieux à Raffaele Mattioli car il quittait la présidence du Crédit Lyonnais auquel la COMIT était liée depuis toujours. J’étais alors un jeune dirigeant de la Direction Centrale et je fus appelé à assister à l’entretien avec M. Mattioli. Viriat dit à ce dernier “Mon cher Ami, j’ai tout fait pour que le Crédit Lyonnais ne soit pas nationalisé, car la nationalisation c’est comme la vérole : on vit mais on vit mal !”.
Le cas « Maddoff » aura des conséquences pour l’ensemble du monde de l’épargne. Que faire pour éviter ces terribles dérives ?
Enrico Braggiotti: Le cas « Maddoff » est seulement l’expression la plus néfaste de cette immense spéculation qui s’est développée sans logique, sans règles et avec l’unique but de faire de l’argent rapidement et à n’importe quel prix.
Est-il juste de plafonner les émoluments des dirigeants bancaires ?
Enrico Braggiotti: Oui, mais je ne pense pas que cela soit du ressort de l’autorité étatique. Cela doit rester du ressort des actionnaires, des Conseils d’administration qui devront être informés de l’ensemble des avantages dont jouissent leurs dirigeants.
La Banque commerciale n’existe plus. Ne serait-il pas opportun la faire renaitre ?
Enrico Braggiotti: La COMIT, de l’après-crise de 1930, est née sous le règne de Raffaele Mattioli. Après la Seconde Guerre mondiale il l’a menée au sommet du système bancaire italien. Plus qu’un banquier ou un économiste Raffaelle Mattioli était un homme d’Etat avec une vision de l’Italie et du monde qui en faisait un interlocuteur recherché par l’ensemble des banquiers internationaux. Piazza della Scalla, siège de la COMIT, ont défilé les plus grands noms de la finance : Hermann Abs de la Deutsche Bank, Schaefer Président d’UBS, David Rockefeller de Chase, A. Viriat du Crédit Lyonnais, Jean Reyre Président de Paribas, Jacob Rothschild de la Rothschild Banque, Albert Frère de la Banque Bruxelles Lambert, etc…
Le réseau de relations internationales de la COMIT était unique dans le système bancaire italien et il était animé par des dirigeants exceptionnels comme Carlo Bombieri en particulier, Antonio Monti, Francesco Cingano et un peu également par moi-même.
Le prestige de la COMIT et de ses dirigeants lui a permis d’occuper une position privilégiée sur les grandes places financières qu’étaient NYC, Londres, Tokyo et dans des pays comme l’URSS et la Chine, sans compter l’Amérique du Sud avec Sud Ameris.
Il n’est pas imaginable aujourd’hui de recréer la COMIT, pas plus qu’il ne soit pensable de recréer Paribas, autre banque dominante dans le système bancaire français et international. Les entreprises sont comme les hommes, elles naissent, grandissent et atteignent des sommets avant de disparaître lentement ou brutalement.
En conclusion de ce qui précède, je pense que la première mission d’un dirigeant politique est de ne pas laisser le désespoir s’installer chez les peuples les plus défavorisé qui se trouvent en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud et pour lesquels la crise n’est pas un problème de diminution de niveau de vie mais bien une question de vie ou de mort.
L’autre recommandation est que le monde nouveau qui nous sera proposé, doit être un monde pour les jeunes, les moins jeunes et les plus vieux. Il doit être construit autour des formidables progrès de la technologie, de la médecine, de la chirurgie et des énergies renouvelables, sans oublier la fraternité et l’équité.
Une grande opportunité peut naître d’un grand désastre. Que les G7, G8, G20 se mettent au travail.
Les solutions traditionnelles ne font plus recette, il faut en inventer de nouvelles et ne pas oublier ce que disait Napoléon 1er : « C’est l’imagination qui fait marcher le monde » et Einstein d’ajouter : « L’imagination est plus importante que la connaissance ».